Nouvelles censures… et artistes sous pression
9eme Grande conversation de l’association MCH
Nous assistons aujourd’hui à une forme de censure nouvelle dans l’art. Depuis quelques années, avec une accélération récente, ce sont des groupes, se définissant comme garants de la morale, d’une religion, d’une ethnie ou d’un genre, qui portent plainte, pétitionnent, manifestent parfois avec brutalité. Ces groupes divers pensent chacun détenir des droits sur des valeurs morales, exigeant d’imposer des règles qu’ils estiment les meilleures pour l’ensemble de la société. Nous arrivons au point où la loi est interpelée par des associations et divers groupes, et se trouve à défendre l’art et la culture, face à des prétentions particulières et abusives auxquelles s’ajoute l’aberration de vouloir réglementer les œuvres d’art.
Or, l’art est un espace d’imaginaire et de fiction. Les artistes ne donnent pas de consignes, leurs œuvres ne sont ni des actes ni des incitations. Un tableau, une sculpture sont des allégories, des figurations, des images, et non des faits. D’ailleurs, ne parle-t-on pas au théâtre de : représentation ? Personne en voyant le tableau de Goya représentant Saturne dévorant un de ses fils, n’a pensé qu’il y avait là une incitation à manger nos enfants. Alors, comment en arrive-t-on à soupçonner une œuvre d’art d’avoir pour but de pervertir, d’inciter à des actions criminelles, de bafouer la religion, d’humilier des populations ?
Qu’en disent les artistes, qu’en disent les sociologues ? Doit-on craindre une menace contre la liberté d’expression? Est-ce que les artistes aujourd’hui réfléchissent à ne pas choquer, alors que tant de sujets leur paraissent interdits? Ne peut-on soupçonner que l’auto-censure soit en passe de devenir la règle ? L’art va-t-il s’assécher ?
Ces questions méritaient en effet que l’association de la Maison de la Culture du Havre, organise une de ses Grandes conversations à propos de ce phénomène grandissant.
Ce sera le 14 juin, à la bibliothèque Oscar Niemeyer, à 18h30 et l’entrée sera libre.
Nouvelles censures … et artistes sous pression.
Pour en parler nous avons invité une photographe qui a subi une censure brutale. Cette photographe c’est Diane Ducruet. En 2014 une exposition photographique intitulée Mother & Daughter II, participait au mois de la photographie, à Paris. Une des photos imprimée sur le carton d’invitation avait circulé sur Internet. On y voyait sur un montage, une mère embrasser-dévorer le visage de sa fille. Diane Ducruet, sur ce cliché, parlait de la relation mère-fille, elle évoquait une scène de cirque, quand le dompteur, sans crainte, met sa tête dans la gueule du lion. Elle montrait ainsi un lien à la fois d’abandon et de confiance. Diane Ducruet travaillait sur une série consacrée à la famille et c’était elle-même et sa fille qui apparaissaient sur cette photo.
C’est un courrier envoyé par seulement sept personnes, qui a suffit pour que l’œuvre soit décrochée avant même d’avoir été vue par le public et a mis fin à toute présentation du travail de Diane Ducruet. Qu’avaient vu ces censeurs improvisés ? Une image sortie de son contexte et des intentions de l’artiste, une représentation jugée incestueuse.
Voici ce que Diane Ducruet a déclaré alors : “Je ne comprends pas comment une galériste et un responsable d’une institution censée promouvoir le travail des artistes ont pu, sans la moindre menace, sur la simple demande d’anonymes, et sans réellement connaître mon travail passé et présent, décider de décrocher une œuvre.“
C’était le regard de quelques personnes, leur propre fantasme qui en avait décidé.
Peut-on parler de malentendu ? Ou bien du désir de certains, sur de simples ressentis, d’écarter tout ce qui peut les gêner passagèrement. Désir de devenir les juges, les régulateurs de la morale et de l’esthétique, en jouant les inquisiteurs.
Le deuxième invité de la 9eme Grande conversation sera Christian Ruby, philosophe, qui a écrit L’archipel des spectateurs, Devenir spectateur ? et beaucoup d’autres publications.
Dans un ouvrage intitulé : Que faire face à une demande de censure de l’art ? il cite Catherine Pégard directrice du château de Versailles, laquelle définit ainsi les censures d’aujourd’hui : Cela dit quelque chose d’une volonté de faire plier l’autre à son propre raisonnement.
Il explique, dans ce livre, que face à une demande de censure, la première réaction doit être de rappeler que nul n’est obligé d’être d’accord avec ce qui est présenté, mais que ce désaccord doit conduire à la discussion, y compris publique, et non à la censure : « Dans l’acte de censure, quelqu’un gomme l’ouvrage – non seulement énoncé mais publié, non seulement créé mais diffusé –, de quelqu’un d’autre. » Cette volonté de censurer existe moins en fonction d’un propos ou d’une image, qu’en fonction d’une idée du ressenti d’un public. « En prétendant agir contre des propos, des images ou des œuvres pour le public, la censure agit en réalité contre le public. A fortiori, lorsque cette censure est mise en œuvre au nom de la collectivité. » Ch. Ruby
Nous nous rencontrerons le 14 juin prochain, pour débattre ensemble de ce sujet qui ne peut être laissé de côté par tous ceux qui aiment se rendre dans des expositions, des concerts, ceux qui lisent, qui vont au spectacle. Rendez-vous avec les artistes, plasticiens, comédiens, directeurs de théâtre.
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