La SF chinoise – Le phénomène Liu Cixin

Sans surprise, il faut bien constater que la science-fiction en Chine a été, dès ses premières diffusions, au début du XXe siècle, soumise au contrôle politique, et utilisée à des fins nationalistes. On l’a appelée alors le « roman scientifique ».

Entre 1956 et 66, Mao engage une « marche pour la science ». Occasion de publier des romans mélangeant fiction et science, destinées alors seulement à un public enfantin. Ce sont des œuvres résolument optimistes. La science-fiction, a alors essentiellement une fonction : projeter une société communiste idéale, réalisée grâce au progrès technologique, ce qui revient à véhiculer l’idéologie maoïste.
La Révolution culturelle marque un coup d’arrêt brutal à ce genre de production scientifico-littéraire. Tout ce qui ne répond pas au strict agenda maoïste est désormais considéré comme réactionnaire.
A la fin des années 1970, après la mort de Mao et l’arrestation de la « Bande des Quatre », des personnalités politiques, intellectuelles, artistiques, après avoir été persécutées pendant la Révolution culturelle, sont réhabilitées. La science-fiction chinoise va pouvoir faire son retour. La mise en place de cette relative politique d’ouverture, lui permet de connaître un grand succès. Des publications d’auteurs chinois, souvent de scientifiques réhabilités, se multiplient.
La revue Littérature scientifique consacre une grande partie de ses numéros à la traduction d’œuvres de SF occidentale. Le pouvoir, néanmoins, continue de demander à ses auteurs de témoigner de leur confiance optimiste en les progrès scientifiques du pays.
Le premier roman de SF chinois à paraître dans une revue littéraire, la littérature du peuple s’intitule : Le Rayon mortel de l’île de corail, de Tong Enzheng., qui remporte le prix de la « meilleure nouvelle chinoise » en 1978.
Hélas ! la « Campagne contre la pollution spirituelle » lancée en septembre 1983 par les conservateurs du Parti, va signer l’arrêt – encore une fois- de la SF chinoise. Les motifs ? Substitution de la science par l’imagination, et aussi influence de l’Occident.

C’est seulement en 1990 que la science-fiction revient, grâce au journal Littérature scientifique rebaptisé Le monde de la science-fiction. Y seront publiés les auteurs contemporains de la nouvelle SF chinoise : Liu Cixin, Han Song et Wang Djinkang. Le genre prend alors une couleur plus sombre, bien différente de l’écriture optimiste qui précédait, sachant que les impératifs économico-politiques du pays continuent toutefois d’exercer leur influence.

En 2016, paraissait chez Actes Sud : Le Problème à trois corps, de Liu Cixin. C’était le premier tome du cycle, la trilogie des 3 corps, suivi en 2017 par La forêt sombre et en 2018 par : La mort immortelle.
Liu Cixin aujourd’hui est l’écrivain de SF le plus populaire en Chine. Et le plus connu au monde, grâce à sa trilogie. Mais avant d’évoquer ce succès mondial, revenons aux début de la carrière de Liu Cixin
Son premier roman n’a jamais été édité, mais publié sous forme de feuilleton dans une revue. Ecrit pendant la campagne contre la pollution spirituelle, il est achevé en 1989, deux mois avant la répression violente de Tian-an-men à Pékin. Son titre : Chine 2185. Il sera désigné comme le premier roman de SF punk en Chine, cinq ans après la parution de Neuromancien de William Gibson, et reconnu comme étant à l’origine de la nouvelle vague de la SF chinoise. L’histoire : la résurrection numérique de Mao Tsé Toung. Liu Cixin y partage la pensée des jeunes intellectuels chinois de la fin des années 1980 qui rejettent la domination d’un parti et d’un régime autoritaire, et qui appellent à un système démocratique en Chine. Chine 2185, se situe dans un futur où le pays est devenu une démocratie. C’est une présidente, élue au suffrage universel direct qui dirige le pays. Un jeune ingénieur réussit à entrer dans le Mausolée de Mao, et à partir de la dépouille du grand Timonier, il crée un hologramme, lequel devenant virtuel va exister dans le cyberespace, et créer une république virtuelle qui menacera la république réelle, concrète, de la Chine, faisant ressurgir les vieilles idées maoïstes, et répandre leur influence néfaste. Alors que l’espace numérique semble au départ offrir de nouvelles possibilités de liberté politique, les vieillards ressuscités virtuellement, créent la «République électronique de Huaxia» qui mène tout droit le pays à une guerre atomique avec l’Union soviétique.
Extrait : Il était minuit et demi et la nouvelle lune diffusait sa douce lumière argentée sur la place Tiananmen. Une luciole insomniaque scintillait à travers la vaste pelouse, tandis qu’un dirigeable publicitaire qui avait déjà éteint ses lumières planait immobile dans l’air – comme une olive noire dans le ciel nocturne. Les bâtiments anciens dormaient tous tranquillement. Plus loin se trouvaient les gratte-ciel qui avaient été construits au début de ce siècle qui par souci de préserver la culture ancienne de Pékin, avaient été construites dans le style de l’école luministe du XXe siècle. Couverts de miroirs, ces gratte-ciel se fondaient parfaitement dans leur environnement et se dressaient maintenant comme de hautes colonnes de cristal dans le ciel éclairé par la lune. Ils ajoutaient une couche de mélancolie rêveuse à cette ville ancienne.
C’était le 10 juin 2185 après JC.
La Terre était encore une planète dans l’univers.
Pékin était encore une ville sur Terre.

Voici comment l’éditeur français de Liu Cixin, Actes Sud, résume Le problème à trois corps, premier volume de la trilogie :

            
     

En pleine Révolution culturelle, le pouvoir chinois construit la base militaire secrète de Côte Rouge, destinée à développer une arme de grand calibre. Ye Wenjie, une jeune astrophysicienne en cours de “rééducation”, intègre l’équipe de recherche. Dans ce lieu isolé où elle croit devoir passer le restant de sa vie, elle est amenée à travailler sur un système de télétransmissions dirigé vers l’espace et découvre peu à peu la véritable mission de Côte Rouge… Trente-huit ans plus tard, alors qu’une étrange vague de suicides frappe la communauté scientifique internationale, l’éminent chercheur en nanotechnologies Wang Miao est témoin de phénomènes paranormaux qui bouleversent ses convictions d’homme rationnel. Parmi eux, une inexplicable suite de nombres qui défile sur sa rétine, tel un angoissant compte à rebours…

Extrait : Wang Miao regarda autour de lui. Tout lui apparaissait flou dans la chambre. Il s’assura qu’il était bien réveillé, mais le compte à rebours était toujours là. Il ferma les yeux, mais la suite de chiffres émergeait encore dans cette totale obscurité, comme du mercure coulant sur les plumes d’un cygne noir. Il ouvrit à nouveau les yeux, les massa un peu, mais le compte à rebours était toujours là. Quelle que soit la direction dans laquelle il pointait son regard, la rangée de nombres occupait imperturbablement le plein centre de son champ de vision. Wang Miao s’assit brutalement. Il frissonnait de peur. Le compte à rebours le suivait, quoi qu’il fasse. Il sauta du lit, tira les rideaux et ouvrit la fenêtre. Dehors, la ville endormie brillait encore de mille feux. Le compte à rebours s’affichait sur cette vaste toile nocturne comme les sous-titres sur un écran de cinéma.

Le questionnement de Liu Cixin dans ses romans est plutôt sombre : comment l’humanité peut-elle évoluer « dans un univers – dit-il – où tout optimisme est brisé par l’universalité de la mort : celle de l’individu, de l’État, de l’Empire, des espèces, de la planète, du soleil de la galaxie et de l’univers. »

La trilogie des trois corps a mis 10 ans avant de parvenir chez nous. Publiée en 2006, en Chine, le prestigieux prix Hugo a été décerné à son auteur en 2015 dans sa traduction en anglais.
Etonnamment, alors que Liu Cixin nous apparaît comme un auteur subversif, il est largement apprécié aujourd’hui par le gouvernement chinois. Et plus généralement, la SF bénéficie d’un soutien officiel. Le média Uzbektrica a interrogé Liu Cixin à ce propos. Voici sa réponse :

La science-fiction a souvent été instrumentalisée dans l’histoire de la Chine. À la fin de la dynastie des Qing, la fin du XIXe-début XXe, les romans de science-fiction ont servi d’outils pour les intellectuels chinois de l’époque afin de promouvoir leur idéal nationaliste ; dans les années 1950, les romans de science-fiction ont servi d’instruments de vulgarisation scientifique auprès des jeunes enfants ; quant à savoir si la littérature de science-fiction actuelle fait la promotion du rêve chinois, ce n’est pas encore arrivé, en tout cas je ne crois pas pour ma part avoir lu d’œuvres allant dans ce sens.
Comme la science-fiction occidentale, la science-fiction chinoise s’attache le plus souvent à décrire un avenir sombre. Si le « rêve chinois » apparaît quelque part dans ces œuvres, il s’agit souvent davantage d’un cauchemar. Elles ne reflètent pourtant pas forcément le pessimisme des écrivains sur les perspectives futures du pays. La plupart du temps, cela sert davantage les besoins de l’histoire.

Comment Liu Cixin est-il vu en Chine ? par son traducteur français

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