La pertinence du travestissement
Festival d’Avignon OFF / août 2013
« Les Règles du savoir-vivre dans la société moderne » de Jean-Luc Lagarce
« La Conférence des oiseaux » de Jean-Claude Carrière
On entend beaucoup à Avignon décrier le Festival OFF,
festival à côté (off) du festival IN, LE festival officiel, largement subventionné pour inviter
les troupes de théâtre choisies par la Direction du festival.
Dans le OFF, tout un chacun, sans sélection préalable, peut
venir présenter son spectacle: jeunes compagnies, compagnies confirmées,
acteurs inconnus, acteurs connus, créations, reprises, théâtre de pur
divertissement etc…
Parmi les innombrables propositions (plus de 1250 spectacles
cette année) dont certaines, il faut bien le dire, de qualité médiocre, frôlant
la vulgarité ou racoleuses, le festival OFF réserve souvent de très bonnes
surprises.
Ainsi, « LES REGLES DU SAVOIR-VIVRE DANS LA SOCIETE
MODERNE» spectacle présenté au théâtre du Grenier à sel. Ce théâtre situé tout
près des remparts, offre aux compagnies de la région Centre-Pays de la Loire la
possibilité de venir présenter leurs créations en Avignon l’été.
L’unique acteur de ce spectacle attend le public tandis que
nous entrons dans la salle. Installé sur scène, vêtu d’un fourreau noir
décolleté, les bras gainés de gants interminables et juché sur de très hauts
talons, il arbore un large sourire.
Sa présence androgyne nous surprend, nous prépare déjà à
l’étrangeté de ce qui va suivre…
Puis l’acteur magnifique qu’est Martin Juvanon du Vachat, à
la diction impeccable, élément essentiel au propos de la pièce de Lagarce, nous
emmène dans un voyage hilarant et acide dans les méandres des conventions et
des règles qui président aux moments importants de la vie humaine dans
l’Occident chrétien: naissance, baptême, mariage, décès, veuvage etc..
Jean-Luc Lagarce s’empare d’un de ces manuels de
savoir-vivre en usage aux XIX° et XX° siècles, en en détournant quelque peu le
sens, mais à peine, créant ainsi une distorsion du regard.
Ce que j’ai aimé dans l’interprétation de l’acteur, c’est la
sorte d’innocence qu’il donne à son personnage, tantôt rassurant, tantôt
menaçant mais toujours persuadé du bien-fondé absolu de ces codes sociaux,
creusant ainsi le décalage entre ce monde qui s’éteint et celui que nous
tentons d’inventer.
Par le jeu subtil qu’il établit avec le public, nous nous
sentons par là-même concernés, car déclinant avec « la dame »tous ces
rituels qui rythment le passage du temps, c’est à notre propre vécu que nous
sommes renvoyés, au delà des propos conformistes du texte.
La mise en scène et le jeu d’acteur, tout en finesse et
subtilité ne grossissent, ni ne sous-estiment, ni ne banalisent la terrible
violence sociale sous-jacente.
Merci à cette équipe inconnue de moi, et que j’ai pu
découvrir ce jour-là à Avignon et seulement là…
« LA CONFERENCE DES OISEAUX » spectacle vu au
Théâtre du Balcon, un des plus vieux théâtre du OFF, mise en scène par Serge Barbuscia.
Trois comédiens-conteurs, un homme et deux femmes dans un
décor très simple, composé de trois praticables inclinés vers le public. A
trois, ils nous donnent à entendre la belle adaptation théâtrale que Jean-
Claude Carrière a faite du long poème-fleuve de Farid-Ud-Din’ Attar, poète
persan du XII° siècle.
Des oiseaux sont en quête d’un roi -ou d’un maitre- et pour
le trouver, ils souhaitent entreprendre un voyage. Après de longues discussions
sur le bien-fondé de cette entreprise, une partie d’entre eux partent, guidés
par La Huppe, au caractère volontaire et audacieux.
L’extraordinaire profusion de personnages et d’anecdotes
contenus dans cette histoire permet aux comédiens de donner toute la mesure de
la plasticité de leur jeu.
Et l’on se laisse aller dans cette quête initiatique, dont
on ne sait qu’à la toute fin où elle conduit…
Là aussi, le travestissement fonctionne bien: jamais les
oiseaux, définis très précisément dans le texte (le moineau, le rossignol, le
paon, le canard, la perdrix, le faucon, le héron etc..) ne sont mimés ou
naïvement interprétés: un geste, une attitude une intonation suffiront à les
évoquer en sollicitant notre imaginaire.
Dans ce spectacle, la narration annonce le conte, qui
annonce une scène dialoguée, puis la narration reprend. D’incessants allers et
retours entre ces trois modes de récit donnent un charme certain à le
représentation et à la performance des comédiens et des musiciens.
L’adhésion au propos du texte n’est pas sollicitée avec
insistance dans cette mise en scène, dont la légèreté permet au spectateur de
s’interroger en douceur sur le sens de la vie humaine, dans sa dimension la
plus mystérieuse..
A noter: « La conférence des oiseaux » dans
l’adaptation théâtrale de J-C Carrière a été montée au Cloître des Carmes par
Peter BROOK pour le Festival IN en 1979.La pièce eût un immense succès.
Christine Labourdette
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