Hommage au dramaturge Michel Vinaver

par Yoland Simon, écrivain, ancien président de la Maison de la culture du Havre.

La parole vinavérienne nous parle de notre aujourd’hui. Plus actuelle que jamais, elle a caractérisé cette explosion des discours et cette dispersion de leur sens qui s’est invitée dans notre quotidienneté. Autour de nous, envahissantes et inquiétantes, prolifèrent les complexités administratives, les phraséologies politiques, les langues de bois idéologiques, les rhétoriques journalistiques, les déferlements médiatiques, les séductions intrusives de la publicité. Et l’on finit par s’habituer au dérisoire comme au tragique, au voisinage de niaiseries radiophoniques ou télévisuelles avec les plus grandes tragédies planétaires dont les images sont au menu de nos soirées, sans vraiment les troubler.

Dans ce magma sémantique, il faut pourtant, ultime acte de résistance, retrouver un peu d’identité, démêler sa propre parole, découvrir des conduites à tenir, des combats à mener, et un peu de sa vérité. Force est de le constater, nous sommes tous dans un labyrinthe, sans le secours de quelque fil d’Ariane, comme le sont justement les personnages de La Demande d’Emploi. Un titre qui pourrait aussi retrouver son sens métaphorique, comme on le fait pour la distribution des rôles au théâtre. Quel serait donc, en ce monde confus et profus, notre propre emploi ? Comment ne pas se trouver enseveli sous cette avalanche d’informations, cette succession de fictions, ces rafales de conseils ou d’interdits, ces ordres, comme à l’armée, toujours en attente d’éventuels contrordres ? C’est précisément en nous proposant un modèle de cet entrelacs, de ces contradictions qu’il ne cherche pas à cacher, que Vinaver est pour nous un contemporain capital, selon l’expression que l’on a employée pour André Gide. C’est de ce rapport si menaçant aux paroles du monde, et aussi de notre vulnérabilité face à tous ces dangers, que nous parle l’auteur de La Demande d’emploi. Comme toutes les grandes œuvres, ce contenu s’exprime dans une forme nécessaire, celle qui rend le mieux compte de l’ironique accomplissement, non d’un destin, mais d’une vie décrite puis représentée dans ses moments éparpillés, comme les souvenirs d’une mémoire parcellaire. Une construction où tout se déglingue et tout se recoud, semblable à la tentative toujours recommencée, sans cesse contrariée, de concilier la conscience unitaire de notre Moi et la diversité fuyante de notre vécu. Ainsi, la dramaturgie vinavérienne s’organise à l’image des petits drames et des plus graves accidents de nos propres existences. Et, ce faisant, l’auteur de La Demande d’emploi nous montre des êtres pareils à nous-mêmes : ni des héros, ni des pantins, des hommes seulement, cherchant leur voie et leur voix dans l’univers bavard et compliqué où on les a projetés.

In Relire La Demande d’Emploi. Yoland Simon. L’Harmattan, 2021.

Pour voir un extrait de cette pièce, c’est ici

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