De l’apparition des ogres et autres monstres

Au théâtre Gilgamesh, nous avons vu Yvonne par By Collectif d’après Yvonne, princesse de Bourgogne de Witold Gombrowicz. Texte français d’Yves Beaunesne, Agnieszka Ku mor et Renée Wentzig. Mise en scène Nicolas Dandine.

Drôle de pièce ! On dirait une petite sœur de Richard III de Shakespeare car le mutisme têtu et incompréhensible d’Yvonne, roturière rencontrée par hasard et épousée par le prince Philippe fait apparaitre progressivement tous les monstres qui peuplent la cour.

Le public entre, convié à une fête populaire. Annette joue le jeu et danse avec le prince, je rase les murs, craignant pour ma part d’être délogée de ma place de spectatrice …Aïe ! Mais non, nous pouvons nous installer et assister aux variations Gombrowicz. Quelques meubles et accessoires suffisent à évoquer une cour royale.

Cela commence comme une comédie. Yvonne n’est ni princesse ni belle, elle est comme une poupée de son, jolie performance de Delphine Bentolila, molle, passive et muette. Elle suscite un caprice du prince adolescent joué  par un Stéphane Brel versatile à souhait : pourquoi épouser une belle princesse ?

A priori sympathique, ce choix s’avère avoir des conséquences extrêmes : cette fille trimballée d’un personnage à un autre de la cour du roi éveille bientôt la gêne puis une sorte de défoulement. Elle ne réagit à aucune sollicitation aimable ou non. « Vous savez, quand on vous voit, il vous vient des envies…des envies de se servir de vous : vous tenir en laisse par exemple, et vous botter le train, ou vous faire travailler à la chaine, ou vous piquer avec une aiguille. Ou vous singer. Vous tapez sur les nerfs, vous mettez en boule, vous êtes une vivante provocation ! » On ne sait trop où l’on en est, tant on passe de l’étonnement au sourire, voire au rire, et au malaise, à l’horreur.

Chacun jette le masque qu’il a adopté en société  et se met à exprimer son moi caché (et c’est une face mauvaise !) devant cet être qui ignore tout semblant social – la reine Marguerite et ses poèmes, le roi Ignace et sa concupiscence, le prince et son sadisme, et chacun sa haine puis sa cruauté. L’agressivité grandit et la cour devient chaos jusqu’à ce que l’ordre soit rétabli. La nouvelle reine, bouc émissaire, est abattue sans scrupules à un repas de fête en son honneur. Cette scène de paroxysme claque violemment. Même si nous avions ri jaune, nous n’aurions peut-être pas dû rire !

yvonneGombrowicz explique avoir écrit cette pièce en 1933, auprès de son père malade : « dévider un thème abstrait et parfois absurde un peu comme un thème musical. » La pièce et ce personnage muet sont selon By Collectif « une sorte de défi au théâtre et à ses règles ».

L’auteur, joué pour la première fois au théâtre à Varsovie en novembre 1957 alors que la Pologne communiste vivait une courte période de dégel politique, recommandait de « Ne pas jouer ça trop sérieusement. » Sans doute parce que son projet était un spectacle tragi-comique, fait de surprises et de contrastes burlesques…. Et que l’argument est plus un jeu qu’une étude de caractères, même s’il refusait d’être rapproché de Ionesco. 

Le comédien et metteur en scène Pierre Debauche disait qu’après la terrible seconde guerre mondiale, le théâtre ne pouvait plus « faire comme si » : « Ionesco tirait à vue sur les ambulances du langage pour y mettre de l’ordre…. joie d’entendre des mots sur lesquels il était possible de ne pas vomir. (….) Alors nos bons apôtres de service ont appelé ce sauvetage, théâtre de l’absurde. Ah ouiche. Ils croyaient donc que nous allions jouer comme en 1939, comme s’il ne s’était rien passé. » L’Europe avait été aux prises avec ses monstres.

Aujourd’hui, cette Yvonne d’après Gombrowicz nous tend peut-être un miroir. « Je plonge le regard dans la glace et je scrute mon visage… D’un côté, il y a ce rêve d’être proche, de tendresse, de communion, d’abnégation totale. De l’autre, violence, chiennerie, effroi, menace de mort. » disait Bergman au sujet de son film Persona en 1966.

La majeure partie de la pièce dévoile, en miroir avec la figure silencieuse et apathique d’Yvonne, avec le « vide » qu’elle oppose à chacun, les monstruosités plus ou moins secrètes de ce microcosme d’humanité. Et nous qui étions entrés innocemment dans la fête, nous comprenons que la farce est devenue tragédie. Les ogres du conte sont vainqueurs.

Isabelle Royer, Annette Maignan

 

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