Les petites filles n’aimeraient-elles que la danse, et les garçons le foot ?

 Depuis 2005, la maison d’édition Talents Hauts s’attache à ne pas mettre les enfants dans des moules, et valorise au contraire leur différence et leur libre arbitre.

Ce garçon-là n’aime pas le foot et il n’ose le dire à son père. « Alors, tous les dimanches, qu’il pleuve à gros bouillons, ou que la neige couvre le gazon, on part à l’entraînement. » Cette petite fille-là n’aime pas la danse et n’ose pas le dire à sa mère. « Alors, tous les mercredis, j’enfile mon tutu. Mais j’aime pas les tutus. Ça gratte et c’est rose. » Et puis il y a cette Blanche-Neige qui n’en peut plus de s’occuper des soixante-dix-sept nains qui lui réclament sandwichs, histoires et repassage à longueur de journée. Il y a ces cocottes qui en ont ras-le-bol du coq qui ne fait jamais le ménage dans le poulailler. Ces princesses qui partent en quête de dragons, laissant au château des princes trop peureux. Ces papas qui ont le droit de changer des couches et ces mamans qui ont le droit de sortir avec leurs copines, et inversement.

Tous ces personnages sortent des pages des beaux albums édités par Talents Hauts qui, depuis 2005, s’attache à contrer vaillamment les stéréotypes empoisonnant trop souvent la littérature jeunesse. Dans une tribune habilement intitulée « Balance tes trois petits cochons ! » Laurence Faron, directrice des éditions, rappelle ce qui semble être une évidence. « Les livres pour enfants et adolescents sont et resteront des vecteurs d’une représentation du monde : on ne peut pas faire l’économie d’une réflexion et d’une action sur les livres que lisent nos jeunes. » 

“Si un enfant a une personnalité différente, alors tant mieux !” Laurence Faron, directrice de Talents Hauts. Point de provocation dans les livres que publie Talents Hauts, mais une simple remise en ordre des choses. « Il s’agit d’une question citoyenne, de faire prendre conscience aux enfants qu’ils peuvent exercer leur esprit critique et qu’ils ne sont pas obligés d’être dans le moule dominant que la société leur impose. S’ils ont une personnalité différente, alors tant mieux !, nous explique Laurence Faron, dans le bureau de Talents Hauts, qui, perché au sixième étage d’un immeuble, domine tout Vincennes (Val-de-Marne). Je m’étonne toujours que les enfants, et leurs parents, ne se rebellent pas contre les livres : les gens sont tous beaux et les grands-mères ne sont bonnes qu’à faire des tartes. Ce n’est pas cela la vie, et ils le voient bien ! Ce qui est sclérosant c’est, par exemple pour un petit garçon, de ne pouvoir être qu’un superhéros, de ne pas avoir le droit de pleurer ou d’avoir une vie sentimentale. C’est l’absence de choix qui est dommageable. »

Contes d’un autre genre.

 

 

 

Gaël Aymon fait partie des auteurs chouchous de cette maison d’édition engagée, avec notamment ses brillants Contes d’un autre genre, mettant en scène des princesses qui partent à l’aventure plutôt que de pleurnicher dans leurs châteaux. « Dans l’écriture, je suis parti de mes envies, mais aussi de mes manques. Je me souviens qu’enfant je ne me retrouvais pas dans les représentations ultra stéréotypées des livres, ou des dessins animés. Je trouvais terriblement ennuyeux les personnages féminins qui étaient souvent juste bons à se faire enlever et à demander de l’aide !, explique Gaël Aymon, qui, malgré de solides convictions personnelles, ne se définit par comme un auteur féministe. Il ne faut surtout pas faire de politique dans un livre, dont l’objet est d’abord de stimuler l’imaginaire. Les adultes ont tendance à voir cela comme un outil idéologique ou comme une manière de bourrer le crâne des enfants. Mais les petits savent très bien continuer à penser par eux-mêmes face à une œuvre. »

J’aime pas la danse.

 

 

 

Hypersexualisation des petits filles vs. hypervirilisation des garçons

Les enfants ont leur libre-arbitre, mais il leur est parfois difficile de l’exercer, comme le remarque Stéphanie Richard, auteure chez Talents Hauts de la série des J’aime pas (la danse, le foot, être belle…), qui fait régulièrement des interventions en maternelle et en primaire. « A chaque fois je fais un petit test, et les réponses sont à peu de choses près toujours les mêmes. Je demande s’il y a des filles qui aiment le foot. Là, il y en a toujours une ou deux qui lèvent la main, et en général elles revendiquent assez fort cette passion. Quand je demande s’il y a des garçons qui aiment le rose, alors là ce n’est pas pareil : ils se regardent entre eux, ils se demandent s’il y en a un qui va oser lever la main, ça flotte, ça ricane… » Stéphanie Richard conclut qu’il est toujours admis pour une fille d’être un « garçon manqué » – « expression tout à fait laide » – mais que pour les garçons c’est une autre histoire.« Avoir “des goûts de fille” c’est se rabaisser vers le sexe féminin et ce n’est pas valorisé par le reste de la classe, et encore moins par les parents, qui ont des angoisses d’homosexualité latente assez terrifiantes ! » s’alarme l’auteure, qui remarque que, si l’hypersexualisation des petites filles est un problème dans la littérature jeunesse, l’hypervirilisation des garçons en est un autre. « Le travail est vraiment à faire de ce côté aujourd’hui. »

La déclaration des Droits des Filles : Article 1, les filles ont, comme les garçons, le droit d’être débraillées, ébouriffées, écorchées, agitées…

 

 

 

Toute la bienveillance de Laurence Faron s’exerce précisément là, dans le soin particulier qu’elle prend à exempter les livres qu’elle publie de stéréotypes sexistes ou de clichés en tous genres, par exemple celui d’une forme de parentalité absolue : un papa qui travaille, une maman aux fourneaux, des enfants blancs, forcément, et aucune place pour une quelconque minorité. « Le stéréotype, c’est faire passer une représentation comme quelque chose de normatif. Il faut faire attention parce que tous ces clichés, qu’ils soient conscients ou non, volontaires ou non, se transmettent aux enfants par les livres. Et puis à cet âge-là ,on ne lit pas une seule fois un album, mais trente, cinquante fois, il marque donc énormément, et c’est loin d’être neutre. » Estelle Billon-Spagnol, auteure des Déclarations des droits (des papas, des mamans, des filles et des garçons) chez Talents Hauts, applique les préceptes de son éditrice partout où elle travaille : « Quand j’écris pour Laurence c’est assez naturel, les textes véhiculent tous les messages auxquels j’adhère. Ailleurs c’est moins évident, les autres éditeurs sont parfois frileux, arguant qu’un livre va moins bien se vendre s’il n’est pas assez conformiste, ou que les clichés rassurent les parents. Mais j’essaye toujours d’inverser les rôles dans mes dessins : par exemple, je montre un papa qui va chercher les enfants à l’école, plutôt que de “naturellement” confier la tâche à la maman. »

La déclaration des Droits des Garçons : Article 8, les garçons ont, comme les filles, le droit de s’inscrire à des cours de danse classique, de flûte ou de harpe.

 

 

 

Pour Gaël Aymon, Laurence Faron a ouvert une brèche en faisant l’effort d’une écriture sans stéréotypes. « Je me dis toujours que si je ne place pas tel ou tel personnage, issu d’une minorité, dans mes livres, alors il ne sera jamais représenté nulle part. L’idéal serait de ne même pas avoir à se poser la question. Mais comme nous sommes encore dans un monde sexiste et bourré de stéréotypes, nous sommes obligés de penser un minimum les choses. Le jour où tout le monde sera représenté, alors on n’aura même plus à s’interroger. » De son côté, Stéphanie Richard se souvient des bénéfices d’un tel travail sur les clichés : « Au début de ma collaboration avec Talents Hauts, Laurence m’a aidée en me signalant mes pointes de sexisme totalement assimilées. Il m’arrivait de mettre constamment les femmes à la cuisine, parce que ça n’avait pas d’importance dans ma tête et que je voulais juste que la mère fasse une action. C’est en relisant après coup que je me suis rendu compte de ce système. Ça m’échappait et je crois que beaucoup de petites choses comme ça nous échappent parce qu’on est habitués. »

Laurence Faron lutte donc contre toutes ces vilaines et malencontreuses habitudes que nous avons intégrées malgré nous. Dans sa tribune, elle lance un appel à plus de bon sens, d’éducation et de sensibilisation dans la littérature jeunesse et indique que, depuis l’affaire Weinstein et la déferlante qui a suivi, son équipe et elle se sentent moins seules : « Désormais, “stéréotypes sexistes”, “genre”, “domination masculine”, “atteintes aux droits des femmes” ne sont plus des gros mots, du jargon universitaire ou militant, et se retrouvent à la une des quotidiens et dans les conversations courantes. » Mais au moment de nous quitter, elle ajoute qu’en matière de féminisme c’est souvent « un pas en avant, trois pas en arrière ». Haut les cœurs !

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