« Hériter, est-ce recevoir quelque chose qu’il faut compléter ? Pas compléter, mais transformer, oui. »

Michel Deguy est au Forum Philo Le Monde-Le Mans le samedi 5 à 16 h 30.

Michel Deguy, de qui ou de quoi vous sentez-vous l’héritier ?

L’héritier d’une tradition, d’une transmission qui fait voisiner depuis 2500 ans ce qu’on appelle philosophie et poésie. Dans ma vie, j’ai toujours été lecteur et enseignant de philosophie, écrivain et lecteur de poésie. Je me situe dans cette médiation entre les deux que j’appelle la poétique.

Ecrire, c’est transmettre, sans doute. Mais quoi et à qui ?

C’est espérer transmettre un attachement à ce monde que l’on va appeler le terrestre. Mais c’est aussi un attachement à la langue, à la beauté de la langue. (…)

Cette mise en présence du monde ne se produit-elle pas aujourd’hui sans obstacle ?

La chose est en effet menacée par son devenir image, ce qui est une affaire sans précédent. J’observe qu’on ne dit presque plus, dans le propos courant ou médiatique, « l’islam » mais « l’image de l’islam », ni « l’autorité » mais « l’image de l’autorité ». C’est ce que j’appelle le devenir image des choses, ou leur « screenisation », c’est-à-dire ce qui se passe à l’écran, sous l’injonction du vivre en direct.

L’image ne nous rapporterait désormais du monde que des choses dégradées ou lacunaires ?

Je pense surtout que l’image, il faut la faire parler. Autrement dit, on lui fait dire n’importe quoi. Elle représente un danger dans la mesure où on ne parle plus aujourd’hui directement des choses. (…)

Dans vos livres de poésie et de philosophie, les mots de « relique », « perte », « rebut » reviennent souvent. Face à une ruine, quelque chose du passé ne revient à nous que d’une manière incomplète. Hériter, est-ce recevoir quelque chose qu’il faut compléter ?

Pas compléter, mais transformer, oui. Que reste-t-il aujourd’hui ? C’est une question cruciale. Il y avait autrefois cette boutade devenue obsolète : la culture, c’est ce qui reste quand on a tout oublié. Aujourd’hui, l’injonction serait plutôt : gardons tout ; non plus « Du passé faisons table rase », mais « Du passé, conservons tout ». Le problème se pose en termes de recyclage du passé. Que faire en effet des reliques ? Où sont les reliques ? Elles ne sont plus des objets, des petites choses pour la superstition ou l’idolâtrie ; les reliques sont dans la langue que nous parlons et les œuvres qui nous sont transmises. Il ne faut pas les conserver, mais les transformer.(…)

Au sujet de Rimbaud, Pierre Michon écrit qu’il représente souvent, pour de jeunes écrivains, un « tourniquet identificatoire ». Un héritage littéraire peut-il être galvaudé ?

 

Souvent la jeunesse, comme elle est pleine de feux, croit qu’elle hérite de Rimbaud, alors que notre temps est anti-rimbaldien. Pourquoi ? Parce que Rimbaud dit que la vraie vie est absente, mais aujourd’hui, dans notre existence médiatique, « screenisée », la vraie vie est présente, soumise à cette injonction : « Vivez votre vie en direct. » Michon a complètement raison. Il faudrait faire une relecture de Rimbaud qui dit aussi que l’amour est à réinventer, ou que l’éternité est retrouvée. Un poète d’aujourd’hui devrait plutôt écrire qu’elle est perdue, l’éternité. Car on ne peut pas être innocent en écriture, ni ignorant, bien sûr. Il est impossible qu’un poème ne soit pas aussi, d’une certaine manière, une histoire de la poésie. Nous sommes des héritiers, nous recevons, nous donnons.

Pensez-vous beaucoup à vos lecteurs ?

Bien sûr ! (…) Le lecteur, c’est l’autre en soi-même. Ecrire, ça veut dire lire d’une manière rapprochée.

Critique. L’art de se promener à travers la langue

En savoir plus sur http://www.lemonde.fr/livres/article/2016/10/27/michel-deguy-un-poeme-est-aussi-d-une-certaine-maniere-une-histoire-de-la-poesie_5021086_3260.html#ploxxgDFvO0KVH1M.99

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