Voyages allers retours

 

 Il y a depuis ce début d’année, au Havre, une atmosphère très particulière. Comme une incitation à suivre des courants inhabituels. Comme si le vent qui nous est familier, prenait encore un peu plus de hauteur et soufflait un désir d’évasion. Comme si des récits d’expéditions au-delà de la mer qui s’ouvre devant nous, se multipliaient à l’infini.
Il reste aujourd’hui encore les échos du festival Le goût des autres. Des livres d’auteurs voyageurs ont été ouverts puis refermés, leurs histoires parcourues.
Et nous pouvons encore rêver devant les merveilleuses illustrations d’Edouard Riou, à la bibliothèque Armand Salacrou. Avec lui, nous pouvons partir en exploration dans les récits de Jules Verne : A l’Aventure.
Partir… oui, et revenir. Partis, revenus, c’est ce qu’ont fait les voyageurs havrais d’Un Eté au Havre. Et comme tout voyageur, ils sont rentrés avec leurs souvenirs qu’ils ont déposés au MuMa. Photos, videos, créations graphiques, installations, autant de récits et de confidences. Ce sont les cadeaux qu’ils ont apportés  à leur Retour du vaste monde.

 

Revenir, c’est un peu de tristesse, l’envie de repartir, pour retrouver une chaleur inconnue, un charme étranger. Retrouver une vie tout juste découverte. Ces couleurs, ces sons, ces personnes, sont encore là-bas, sans nous et nous y pensons maintenant comme si nous les rêvions. Il reste à en parler pour continuer à faire vivre ce qui nous est éloigné. A relire nos carnets, à les réécrire en ajoutant tout ce que l’on ne veut pas perdre d’instants, qui risquent un jour d’échapper à notre mémoire…

Extrait d’un carnet de voyage  
Saint Petersbourg, mai 2006

Tes notes de voyage ne suffisent pas à dire toutes les impressions nouvelles que tu as vécues. Il te reste à faire la liste de tout ce que tu ne voudrais pas oublier. Oui, tu as des photos, oui tu as des videos. Mais cela n’est rien comparé à tout ce qui passe, tout ce qui se transformera et s’installera en toi. Deviendra une part de toi. Les images on les regarde et elles existent. Une fois pour toutes. Petit à petit elles n’évoqueront plus rien qu’elles-mêmes. Bien sûr tu les regarderas encore. Tu les rangeras, tu les oublieras parfois. Puis tu les retrouveras dans un carton sur lequel un nom de pays sera écrit en gras avec une une date. Mais tu sais bien qu’à l’intérieur il n’y a que l’infime partie de tes souvenirs.

Tu n’as photographié ni filmé la multitude qui descend dans les profondeurs du métro de St Petersbourg, emportée par un escalier mécanique qui te rappelait des films de S.F. Tu n’as aucune image des féroces petites vieilles qui surveillent les salles des musées ; aucune des vendeurs de caviar ou de queues de renards, sur les marches devant l’Ermitage. Ce que tu as, ce sont des souvenirs. Et parfois tu as peur de les perdre. Rappelle-toi les spectateurs du théâtre Mariinski, avant la représentation et pendant les entr’actes, qui se photographient les uns les autres au milieu des ors et du velours rouge ; le bruit des gouttières géantes des maisons princières de la ville qui s’écoulent directement sur les trottoirs les jours de pluie ; l’affichage du décompte des secondes aux feux de circulation avant que les voitures à l’arrêt derrière les clous, ne foncent en avant comme des voitures de course.

Tu croyais que Spoutnik, Gagarine, Iliouchine, la chaussure de Kroutchev n’existaient plus que dans les livres d’histoire, mais tu as compris que la période soviétique est toujours présente et préservée, avec recul et humour, comme un patrimoine kitsch qu’il faut exploiter au mieux pour le touriste. Et tu ne sais pas si ce buste en plâtre de Lénine, veste marron glacé, gilet et cravate à pois, sur un présentoir du restaurant – où, te dit-on, Dostoievski aimait se rendre – tu ne sais pas s’il a été posé là en guise de clin d’oeil ou au nom d’une mémoire affectueuse. Tu as constaté que tel autre endroit est tout entier dédié à l’époque, déjà rétro, du communisme. Là tout est mêlé entre l’Histoire et l’ici, et le décor d’un café clandestin est contredit par une musique ininterrompue et définitivement américaine.
Tu as marché sur la Perspective Nevski, au milieu d’une foule pressée, regardé les enseignes des magasins et les publicités, et tu t’es dit que cette ville générait en nous, étrangers, des images qui se superposent, celle restaurée des Tsars, celle des Soviets. Et, celle de Coca-Cola.

Sur l’île Vassilievski, chaque jour, tu passais devant la statue de Sakharov. Elle est isolée au milieu d’une place, dans le quartier universitaire, près des Douze Collèges. Une place silencieuse, étrangement, dans une ville si bruyante un peu plus loin. C’est bien le prix Nobel humilié ce grand homme réhabilité mais brisé. Silhouette tordue, à proximité de pelouses et d’arbres élégants et graciles. Mais la tête ne plie pas, le défi est tout dans ce port raidi. Au delà de la représentation de la souffrance, cette sculpture domine, écrase. Nulle doute qu’elle est l’image voulue du remords d’un pays et que chaque passant, quel qu’il soit, paie son tribut à l’injustice.

 

Dostoievski. Tu as visité son dernier appartement, tu t’es approchée de ses meubles, sa vaisselle, tu as marché sur ce parquet qui craquait et tu as constaté que quelqu’un, comme chaque jour, avait déposé pour lui un verre de thé sur son bureau. Son thé qui refroidit et que personne ne boit ( ou alors qui ?)
Pouchkine. Tu l’as aperçu, lui qui n’a jamais quitté Saint-Petersbourg, et dont on voit le reflet derrière la vitre du Café littéraire, où plus jamais il ne revint après ce duel absurde, mais où il est encore.

 

Retour du vaste monde, exposition MuMa jusqu’au 14 avril

A l’ aventure ! Edouard Riou, illustrateur de Jules Verne, jusqu’au 27 avril, Bibliothèque Armand Salacrou

Leave A Comment

Recherche

 

Nos bons plans
sur notre sélection de spectacles ...
Journal MCH
Le journal de l'association...
J'adhère à la MCH
Ou renouvelez votre adhésion en ligne
Nous contacter
Besoin de renseignements ?