New York, New York

Le 3 juin 1935, le paquebot La Normandie accostait à New York, arrivant du Havre. Il avait traversé l’Atlantique en 4 jours et 3 heures, ce record lui valait l’honneur de remporter le Ruban bleu, cette récompense prestigieuse. Il venait d’effectuer son premier voyage et l’accueil dans le port de New York a été somptueux. Alors que le paquebot, attendait la marée qui lui permettrait de gagner le quai, des avions le survolaient, et des remorqueurs – où avaient pris place des journalistes, photographes, ainsi que des officiels – s’en approchaient.
Le journal Ouest-Eclair titrait le lendemain : « Les Américains par milliers, acclament La Normandie ». Blaise Cendrars qui était à bord, chargé d’écrire un reportage sur la traversée pour Paris Soir, écrivait :
«Les sirènes de tous les bateaux amarrés dans les bassins du port hurlaient,sifflaient, chouintaient à qui mieux-mieux. Et à ces cris se mêlaient les hourras des équipages et les mugissements d’un million de klaxons ! Trois cents avions, des hélicoptères, de nombreuses escadrilles d’hydravions de la marine remplissaient le ciel du vrombissement de leurs moteurs, tandis que du haut du ciel un énorme biplan laissait tomber sur les ponts de la Normandie l’hymne de la Marseillaise qui sortait par rafales d’un gigantesque haut-parleur… »

2019, mois de mars. Arrivée à Kennedy Airport. Là aussi il y a foule mais ce sont les passagers qui attendent dans la longue file qui mène jusqu’au passage de la douane. C’est le milieu de l’après-midi. Il fait beau mais au fur et à mesure que la procession avance, elle entre dans la zone plus sombre qui lui permettra de reprendre ses bagages. Et il faudra encore du temps avant d’apercevoir, à travers la vitre du taxi, la skyline de New York qui se découpe là-bas, sur l’horizon où le soleil se couche. Pour celui qui arrive ici pour la première fois, quelque chose d’une émotion inconnue le saisit. Comme demain le saisira l’impression d’irréalité, là, au milieu des gratte-ciel. Demain, on ira à Central Park, où s’étend plus de 300 hectares de verdure, en plein Manhattan. Dans Moon Palace, de Paul Auster, il est un passage où le narrateur, sans un sou, qui vient d’être chassé de son appartement, faute d’avoir payé son loyer, se réfugie dans Central Park et y passe une première nuit, couché dans les buissons :
« Il est indiscutable que le parc me fit le plus grand bien. Il me donnait une possibilité d’intimité, mais surtout il me permettait d’ignorer la gravité réelle de ma situation. L’herbe et les arbres étaient démocratiques, et quand je flânais au soleil d’une fin d’après-midi, ou quand, en début de soirée, j’escaladais les rochers en quête d’un endroit où dormir, j’avais l’impression de me fondre dans l’environnement, de pouvoir passer, même devant un œil exercé, pour l’un des pique-niqueurs ou des promeneurs qui m’entouraient. »

2020, avril. Aujourd’hui, New York est silencieuse, la 5e avenue est déserte, le silence matinal durera toute la journée. Seule la sirène si caractéristique des ambulances va déchirer un semblant de paix.
Hier soir, les lumières de Broadway n’étaient que le signal de ce qui a été, aurait pu être, sera bientôt, mais quand ?  Times Square dort.

Sur Times Square, à 8 h 30, les publicités sur le panneau d’affichage numérique sont apparues, pour personne. John King, directeur adjoint du Hudson Theatre, est entré dans le Millennium Hotel, avec lequel le théâtre partage une entrée arrière, il a salué le garde de sécurité et a pris une série de couloirs jusqu’au bureau de gestion, où, un jour normal, il serait déjà au travail. Il a saisi ses clés et une lampe de poche , et est entré dans le théâtre.
Il a pris l’ascenseur du sous-sol, puis a monté plusieurs étages vers le plus haut balcon. Un rai de lumière jaunâtre provenait d’une seule ampoule sur le rebord de la scène. Chaque théâtre de Broadway en a un : une lumière fantôme, qui s’allume dès que la maison s’éteint après une représentation. Chaque théâtre, dit-on, est habité par un fantôme. La lumière garde la compagnie fantôme, ou agit comme une offrande pour éloigner les malédictions, ou illumine la scène pendant qu’un interprète spectral joue toute la nuit. Cette superstition suppose que, les corps terrestres sont damnés, alors qu’un événement théâtral spirituel implicite est toujours en cours, partout où il y a une scène. Les lumières fantômes de Broadway brillent sans interruption depuis mars.
À l’aide de sa lampe de poche, King inspecte les issues de secours sur le balcon, s’assurant qu’elles n’ont pas été bloquées ou ouvertes. Dans le salon Ambassador, utilisé pour les réceptions et les conférences, King a regardé par les fenêtres, qui font face à la rue, du chapiteau éteint à l’extérieur. Le dernier spectacle qui a pris fin à l’Hudson a été American Utopia de David Byrne. Dans le spectacle, Byrne chante une chanson dont les paroles semblent maintenant irréelles:
« J’imagine ouvrir ma porte, et tout le monde vient chez moi, tout le monde vient chez moi. »  Extrait de : Twenty-four hours at the epicenter of the pandemic, paru le 27 avril 2020, New Yorker.

Que reste-t-il de ces jours qui passent ? Juste un peu d’espoir.

David Byrne, American Utopia
Colette et Blaise vont en bateau…

Vous pouvez écouter ou ré-écouter cette séquence sur Ouest-track radio, émission Viva Culture, du 3 mai 2020, à la rubrique 10mn chronique.
(Extraits musicaux : New York, U2; New York, St Vincent official; New York I love you, LCD Soundsystem.)    

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