L’homme qui tua Don Quichotte
Nous vivons dans une parenthèse enchantée le temps de quelques jours d’été à Avignon.
Le bouche à oreilles nous incite à prendre des places pour L’homme qui tua Don Quichotte de Sarkis Tcheumledjian, par la Compagnie Premier acte, au Chien qui fume.. La pièce est inspirée du roman de Cervantès dont la mémoire des spectateurs conserve les épisodes les plus significatifs, qu’ils retrouvent avec plaisir. Elle rend hommage à l’amitié entre les deux héros, prenant à partie Cervantès, l’historien-auteur, personnage menteur et affabulateur.
Déborah Lamy, comédienne et conteuse, incarne tour à tour, d’un geste précis, Don Quichotte puis Sancho Pança, sur un plateau presque nu, meublé d’une chaise et d’un écran sur lequel courront des nuages et des cieux étoilés.
Elle est elle-même une incarnation sublimée de personnages légendaires : un maquillage comme un masque no, un costume japonisant magnifique, une gestuelle codifiée, une diction précise. Des moments forts nous touchent ; d’un lever de bras, elle évoque de sa voix grave un combat épique du chevalier « à la triste figure », d’un mouvement stylisé de la main, elle donne vie au rêve chaleureux du paysan Sancho. Et nous voici émus par ces grandes actions dont notre imagination peuple le plateau.
Si le grand livre de Cervantès est souvent fermé, c’est que l’écrivain a malmené ses personnages, c’est lui « l’homme qui tua Don Quichotte », et ceux-ci se rebellent. Le musicien Gilbert Gandil accompagne Déborah Lamy, à la guitare et au luth ; une musique préenregistrée se fait aussi entendre, insistant sur les jeux de miroir du texte, entre fiction et réalité.
Qui rêve ici ? La paysanne rencontrée par Sancho Pança comme la Dulcinée de Don Quichotte, n’est-elle pas une jolie jeune fille que l’auteur a enlaidie par pure méchanceté, plongeant le chevalier dans un profond chagrin ? Et comme Sancho Pança gagné par la force des chimères et la foi de son maître, nous comprenons que le roman de chevalerie, loin d’avoir tourné la tête de son lecteur le plus assidu, lui a donné un regard ardent sur le monde. « A chaque rêve que nous abandonnons, nous mourons un peu ».
Isabelle Royer, Annette Maignan
juillet 2015
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