La notion de service public de la culture aurait disparu chez les politiques.

On a déjà parlé, dans ces colonnes, de Blanc-Mesnil, de Montpellier, de Tourcoing, où le maire UMP élu en 2014 a décidé, en février, de retirer sa subvention à cette salle historique de la décentralisation à la française, qui dépend(ait) du Théâtre du Nord, le centre dramatique national de Lille. La liste n’est pas exhaustive.

Derniers en date : le Théâtre national de Toulouse (TNT) – qui est en fait un centre dramatique national – a appris, fin mars, que la ville retirait 10 % de sa subvention, ce qui représente, selon Agathe Mélinand, qui le codirige avec Laurent Pelly, 233 000 euros, soit l’équivalent de 5,5 salaires ou de 60 représentations, et ce, alors que leur saison 2015-2016 était déjà bouclée, les contrats signés, etc. Même chose à Chambéry.(…)…

Même une institution comme le Festival d’Avignon n’est pas épargnée, puisque la maire (PS), Cécile Helle, a annoncé, le 16 mars, qu’elle baissait de 5 % sa subvention, ce qui correspond à un manque à gagner de 49 000 euros. (….)

Lire : La « cartocrise culturelle » ou la crise de la culture en une carte

Plus de notion des enjeux

Certes, la crise est là, qui touche tous les secteurs de la société. Mais ce n’est pas seulement d’argent qu’il s’agit. Toute une génération de politiques et de « décideurs » semble n’avoir plus aucune notion de ce que le service public du théâtre (de la culture en général, ou de l’audiovisuel, ou…) signifie. Les fondamentaux sont perdus, le socle théorique et politique qui a fondé tout cet édifice, et que l’on pourrait résumer par la fameuse phrase de Jean Vilar – « le théâtre, au premier chef, est un service public, tout comme le gaz, l’eau, l’électricité » –, est devenu complètement friable.

On coupe les budgets non seulement parce que l’argent manque, mais parce qu’on n’a plus de vraie notion de la mission, et des enjeux – alors même que les politiques, de droite ou de gauche, agitent, depuis les événements de janvier, le terme de « république » comme un mantra.

Le metteur en scène Jean-Pierre Vincent, qui vient de créer à Marseille un superbe En attendant Godot (Le Monde du 20 avril) et qui est devenu, à 72 ans, la conscience politique et réflexive du théâtre français, n’y va pas par quatre chemins. Citant le philosophe allemand Theodor W. Adorno, il parle même d’une « désartification » d’une élite politique et médiatique devenue, selon lui, « déculturée », et qui méprise le théâtre et « l’intelligence critique qu’il permet ».

« La dégradation des moyens économiques a permis une libération de la paresse intellectuelle, analyse-t-il. On est revenu aujourd’hui, alors même que nous sommes sous un gouvernement de gauche, à une France de boutiquiers, digne de celle que représentait Labiche dans ses pièces. La vie théâtrale en France est d’une créativité et d’une vitalité foisonnantes, mais elle n’intéresse pas les personnes en situation de pouvoir, qui semblent avoir perdu toute notion de ce que sont l’imagination et la gratuité », ajoute le metteur en scène.

Un art « élitiste »

Cette perte de visibilité du théâtre est en général justifiée, là aussi, par des arguments comptables. Les statistiques nous apprenant que 8 % de la population française fréquente les théâtres, et que les jeunes mettraient peu les pieds dans les salles, on ne pourrait décemment continuer à subventionner à cette hauteur un art aussi « élitiste ». On objectera que 8 % de la population française, ce n’est pas rien, et que, pour labourer le terrain depuis des années, nous pouvons témoigner que les salles de France et de Navarre sont pleines(…) Le paradoxe, c’est que le théâtre est taxé d’élitisme par une élite qui n’y va pas, quand elle fréquente l’opéra, qui reste un art moins présent dans la vie courante des jeunes gens d’aujourd’hui.

Peut-être serait-il temps, là comme ailleurs, de sortir des logiques purement comptables – le nombre de spectateurs, le nombre de clics sur Internet… Si la vie théâtrale en France est aussi brillante, aussi accueillante pour les créateurs du monde entier, ce n’est pas seulement un phénomène décoratif et économique. On peut penser que cette exception culturelle a quelque peu à voir avec des enjeux de civilisation, et que le théâtre, cet art anthropologique par nature, est justement ce qui apprend à l’homme que son humanité dépasse largement les relations purement marchandes.

Par ailleurs, sur le plan comptable, on en arrive à des absurdités : nombre de petits théâtres de banlieue ou de région subissent des pressions pour ouvrir leur programmation à des formes « populaires ». L’argent public est alors utilisé pour subventionner des divertissements liés à la télévision et à des circuits commerciaux, ce qui n’est pas sa mission.

Le démantèlement en cours pourrait avoir de lourdes conséquences à long terme. (…)

  • Fabienne Darge
    Journaliste au Monde

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