La guerre des zombies – 3e partie

 

3e et dernier épisode de la série La guerre des zombies, avant la 11e grande conversation de l’association Maison de la Culture du Havre, qui aura lieu à la Bibliothèque Oscar Niemeyer, le 13 mars, à 18h30 : Qui sont nos zombies, de la fiction aux fantasmes.

Voici ce que Clémentine Hougue écrit dans Le zombie au-delà de la fiction :
C’est certainement sur ces zones d’ambiguïté (entre mort et vivant, humain et non-humain) que le mort-vivant a construit son histoire et qu’il a acquis le succès que l’on connaît. Il est ainsi devenu une des plus récentes et des plus populaires fictions contemporaines. Il rassemble tout autant des angoisses que des fantasmes, qu’il s’agisse de vie après la mort ou de chute de la civilisation ; il est l’incarnation fantasmatique de peurs et de désirs occidentaux.

Nicolas Journet, de son côté, pour le mensuel « Les idées en mouvement » paru en janvier 2013, écrit :

Le zombisme est contagieux : après le roman, les écrans et les arts de la rue, le voilà qui infeste les traités de philosophie. C’est une épidémie… Après la saga inaugurée par George Romero (La Nuit des morts vivants, 1968) et ses innombrables reprises, le cinéma gore, le cinéma tout court (The Road), les séries télévisées (Walking Dead, True Blood, Les Revenants), la BD (Zombie), les jeux vidéo (House of the Dead) et même le roman (La nuit a dévoré le monde) grouillent de goules et de zombies venus des quatre coins du monde. Mais ce n’est pas tout : le 13 octobre 2012, deux mille joyeux zombies, femmes et enfants compris, battaient le pavé parisien, laissant derrière eux des flaques de fausse hémoglobine. Les « défilés de zombies » (zombie walks), inventés en 2001 en Californie, ont aujourd’hui gagné de nombreuses capitales et des villes de province : une mode carnavalesque, mais pas seulement puisqu’à Mexico comme à New York, elle s’est introduite dans le cortège des indignés à la mode locale. Du coup, des sociologues s’interrogent : « De quoi le zombie est-il le nom ? », titrait Marion Cocquet, journaliste au Point, en décembre 2011. Suivaient les réponses de divers spécialistes fraîchement désignés : zombie = les pauvres, les réfugiés, les traders robotisés, les irradiés du nucléaire, etc. Maxime Coulombe consacre au phénomène un essai, Petite philosophie du zombie, d’où il ressort que le zombie est une pince multiple, bonne à saisir la plupart des idées que se fait le citoyen sur lui-même : c’est l’homme traumatisé par la violence du monde moderne, c’est aussi le prédateur qui sommeille en chacun de nous, c’est aussi la victime d’un monde systémique où penser ne sert plus à grand- chose, et, enfin, c’est l’homme d’après l’apocalypse. L’écrivain haïtien René Depestre avait, souvenons-nous, nommé « zombification » l’état d’apathie des peuples dominés par la dictature.

Ainsi les chercheurs de toutes disciplines se penchent depuis plusieurs années sur le cas zombie. John Quiggin, économiste australien publie en 2013 Économie zombie : Pourquoi les mauvaises idées ont la vie dure ? Pierre Déléage, anthropologue, écrit un article, en 2019, intitulé :  Histoire du zombi politique  …
Extrait :
La première trilogie de George A. Romero atteignit son point culminant lorsqu’elle s’attarda, dans Zombie, sur la liesse de survivants enfermés dans un centre commercial où toutes les marchandises leur étaient désormais accessibles, gratuitement, sans aucune restriction, sous le regard vide de mannequins de plastique. On a souvent dit que dans ce film Romero avait voulu camper une analogie ironique entre les zombies et les consommateurs abrutis par les publicités et les vitrines. La remarque est peut-être juste mais elle manque encore une fois ce que cette scène montrait de manière évidente : l’accomplissement jouissif du rêve d’une génération privilégiée, née sur les décombres de la seconde guerre mondiale, consentant avec gratitude à un optimiste aveugle orchestré par le capitalisme triomphant, refoulant le plus longtemps possible le cauchemar sanguinolent qui pourtant l’entourait de toutes parts. Avec les films de zombies, une fenêtre – qui se refermerait bien vite – s’était entrouverte sur le monde du dehors.

Bradley Voytek neuroscientifique américain, a pris pour exemple dans ses recherches : le zombie. Sur la base de ce qu’il observe dans des films, il a établi une carte du cerveau zombie. De cette observation il a conclu que les morts-vivants souffrent d’une maladie qu’il appelle trouble du déficit de conscience caractérisée par «la perte de comportements rationnels, volontaires et conscients remplacés par une agression délirante / impulsive, l’incapacité de coordonner les comportements moteur-linguistiques et un appétit insatiable pour la chair humaine».

                                Mais ce sont sans doute les philosophes qui se penchent le plus sur le sujet zombie :
En 1996, déjà, David Chalmers, philosophe australien, avait écrit dans son livre, L’Esprit Conscient, que le zombie, créature hypothétique, est physiquement identique à un être humain normal, mais n’a aucune expérience consciente. C’est pourquoi il peut servir au philosophe à illustrer les caractéristiques de la conscience. Avec cette question : Pourquoi ne sommes-nous pas des zombies ?

En 2010, Pierre Cassou-Noguès, publie Mon zombie et moi, ouvrage dans lequel il crée son double de fiction : le zombie. En partant du principe que le philosophe dans son travail, a besoin de la fiction, parce que grâce à elle on peut inventer toutes les formes de vies imaginables. Le zombie, cet autre de fiction, est un bon sujet : il n’a pas d’existence propre, seulement un corps sans esprit, sans réflexion, et il se prête à toutes les transformations pensables.

En 2012, Maxime Coulombe écrit :
Si le zombie sait si bien figurer nos peurs, nos angoisses, c’est qu’il nous ressemble : il est, à quelques détails près, un homme. C’est par sa proximité qu’il fait peur. Est-il encore humain ? En quoi se distingue-t-il de nous ? Et s’il n’est plus humain, peut-on le tuer ? Ou expérimenter sur lui ? Peut-on le torturer ?

En bref, je dirais que les philosophes et professeurs de philosophie sont tous d’accord sur un point, ce que je traduirais en mauvaise élève : les zombies n’ont rien dans le crâne, contrairement à  nous, les vivants. Avec cette question qui me vient à l’instant : si nous perdions nos capacités d’ouverture d’esprit, si nous réduisions le monde à des réactions plutôt qu’à la réflexion, pourrions-nous dire que nous vivons dans un monde exempt de zombies ? Mais si j’ai bien compris, nous ne le saurions pas puisque le zombie, pas plus que nous, ne peut savoir qu’il est un zombie.

Appréhender la proximité, la parenté entre le zombie et l’homme rend nécessaire, en dernier recours, de s’interroger sur les limites de la condition humaine et sur la terrifiante possibilité d’être déchu du statut d’homme. Le zombie ne ferait qu’évoquer d’amusantes questions théoriques, voire philosophiques, si celles-ci n’étaient pas, précisément, parmi les plus angoissantes pour la pensée contemporaine, si elles ne trahissaient pas nombre de débats animant notre époque. Si elles ne nous hantaient pas.   Maxime Coulombe.

Rendez-vous vendredi 13 mars de l’année 2020, à la Bibliothèque O. Niemeyer, 18h 30, entrée libre, Qui sont nos zombies ?

La preuve par le zombie

John Quiggin

David Chalmers

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