Et si l’art était le meilleur antidote à notre monde sans esprit ?

  • France-culture : Les chemins de la philosophie.

Roland Gori : psychanalyste, professeur honoraire de psychopathologie à l’université d’Aix Marseille

Et si entendre Albert Camus, Stefan Zweig ou encore Tolstoï faire « retentir le silence par l’art », était la plus belle oeuvre contre notre monde rationaliste, nihiliste et terroriste ?

« Le silence d’un prisonnier inconnu, abandonné aux humiliations à l’autre bout du monde, suffit à retirer l’écrivain de l’exil, chaque fois, du moins, qu’il parvient, au milieu des privilèges de la liberté, à ne pas oublier ce silence et à le faire retentir par les moyens de l’art. » CAMUS, Discours de Suède du 10 décembre 1957

Le texte du jour

« Il nous est aujourd’hui facile, à nous qui avons rayé depuis longtemps de notre vocabulaire le mot « sécurité », tenue pour une chimère, de railler l’illusion optimiste de cette génération aveuglée par un idéalisme lui faisant croire que le progrès technique de l’humanité devait fatalement entraîner une ascension morale aussi rapide.

Nous qui avons appris dans le nouveau siècle à ne plus nous laisser surprendre par aucune explosion de bestialité collective, nous qui attendions de chaque jour à venir plus d’abominations encore que du jour précédent, nous sommes devenus singulièrement plus sceptiques quant à la possibilité d’une éducation morale de l’être humain. Nous avons dû donner raison à Freud quand il ne voyait dans notre culture, dans notre civilisation qu’une mince couche susceptible à tout instant d’être transpercée par les forces de destruction des bas-fonds, nous avons dû progressivement nous habituer à vivre sans avoir de sol sous nos pieds, sans droit, sans liberté, sans sécurité.

Il y a longtemps que pour notre propre existence nous avons abjuré la religion de nos pères, leur foi en une ascension rapide et perpétuelle de l’humanité ; pour nous qui sommes instruits par de cruelles leçons cet optimisme précipité paraît bien fade au vu d’une catastrophe qui nous a rejetés d’un seul coup mille ans en arrière, effaçant tant d’efforts vers plus d’humanité.

Pourtant, même si ce fut une illusion, c’était une illusion merveilleuse et noble que servaient nos pères, plus humaine et plus noble que les slogans d’aujourd’hui. Et il y a en moi quelque chose qui, mystérieusement, en dépit de tout ce que nous savons et de notre déception, ne peut tout à fait se détacher d’elle. Ce qu’un homme a absorbé de l’air du temps pendant son enfance, il ne pourra l’éliminer de son sang.

Et malgré tout, malgré tout ce que chaque jour me hurle aux oreilles, malgré tout ce que moi-même et mes innombrables compagnons d’infortune avons subi d’humiliation et d’épreuves, je suis incapable de renier tout à fait la croyance de ma jeunesse et je crois toujours que recommencera un jour le mouvement ascendant. »

Stefan Zweig, Le monde d’hier. Souvenirs d’un européen (Gallimard Pléiade 2013), p. 864

https://www.franceculture.fr/emissions/les-chemins-de-la-philosophie/un-monde-sans-esprit-la-fabrique-des-terrorismes-de-roland

  • Les Inrocks

Pour ancrer sa réflexion, Gori rappelle la fameuse phrase de Gramsci issue de ses Cahiers de prison, devenu une sorte de mantra de notre époque, tellement elle est convoquée ici et là pour expliquer nos fêlures actuelles : “la crise, c’est lorsque le vieux monde est en train de mourir et que le nouveau monde tarde à naître. Et dans ce clair-obscur naissent les monstres“.(…)

Avec la place démesurée prise par l’économisme, de nouveaux dispositifs de fabrication du lien social se sont imposés dans nos sociétés depuis trente ans(…)

Les fictions sont nécessaires dans la marche de nos existences, au sens où elles sont des “rêves collectifs que chaque sujet singulier s’approprie et partage avec les autres pour passer du je au nous”. Se référant aussi bien à Marx qu’à Freud, Gori souligne que les fictions que les hommes créent sont “la vérité de leur histoire vécue”. Elles répondent au besoin de croyance et au désir de sacré des humains.(…)

Toute la réflexion de Roland Gori est traversée par cet appel vers une forme de sacralité artistique qui protège l’humanité contre elle-même (…) 

L’auteur esquisse une piste centrale : “la pleine reconnaissance de la fonction sociale de l’art“ qui permettrait selon lui de construire ce pacte d’humanité “dont nous manquons cruellement dans la conscience du politique aujourd’hui obnubilé qu’il se trouve par le pacte de stabilité ou de sécurité“.

L’art peut assumer sa part dans la lutte contre les fanatismes qui se réclament du religieux, en retrouvant auprès des peuples une fonction sacrée. “L’art est ce qui peut venir prendre le relais de l’illusion religieuse en tant que sa critique aboutit à considérer que l’homme est pour l’homme l’être suprême”.(…)

En ce sens, l’art ne doit pas être compris comme un luxe, dont l’intérêt consisterait simplement à intensifier l’existence par la contemplation esthétique ; l’art est surtout un “soin, pour la subjectivité autant que pour le lien social” ; un soin qui requiert attente et recueillement.

http://www.lesinrocks.com/2017/01/07/idees/lart-rempart-aux-terrorismes-selon-roland-gori-11898257/

Un monde sans esprit, la fabrique des terrorismes, de Roland Goriéd. LLL, 234 p, 18,50 euros

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