ESPRIT CRÉATEUR(s) une exposition
Il existe en France un nombre incalculable de musées consacrés au tissu, au costume et à la mode. Et rien qu’au Musée des arts décoratifs à Paris, on trouve plus de 152 800 œuvres comprenant costumes, accessoires et textiles du IIIe siècle à nos jours. Mais aussi, les noms des plus grands créateurs contemporains de la haute couture y sont réunis, Christian Lacroix, Christian Dior, Yves Saint Laurent, avec plus de 1 500 m2 consacrés à la mode et au textile. Et ailleurs, les expositions se multiplient.
C’est dire que le vêtement n’est plus uniquement, protection, parure, marque d’une autorité ou cérémonial, il est devenu aujourd’hui objet, il a acquis parfois le statut d’œuvre d’art contemporain dans des expositions consacrées aux créations de la haute couture. Les grands couturiers sont désormais déclarés artistes.
Depuis quelques années le vêtement religieux a influencé les couturiers, il a été une de leurs sources et fait désormais partie de la mode. Le code vestimentaire persiste depuis des siècles dans le culte catholique et ces deux mondes, a priori éloignés, ont été réunis dans une exposition présentée en deux lieux : l’une à Lisieux, l’autre à Bayeux. Son titre subtil : Esprit créateur(s) Son sous-titre, plus explicite : le dressing des évêques revisité.
La cohorte de couturiers dont l’univers nous est généralement présenté comme déjanté et mondain, associé à des dignitaires ecclésiastiques, peut étonner. C’est la Conservation des Antiquités et Objets d’art du Département du Calvados qui a réuni aux pièces prêtées par Chanel, Versace, Balenciaga et d’autres grands noms de la couture : costumes, tableaux, et orfèvreries issus de ses collections. La première partie de l’exposition explore le vêtement religieux, un patrimoine qui aura dans les temps, déjà inspiré peintres et sculpteurs, et qui montre le vêtement liturgique, du plus austère au plus somptueux, de la simple chasuble en lin à celle faite de fils d’or, de velours et de pierres précieuses, conservés aux archives du Carmel de Lisieux. On comprend alors pourquoi, ce vestiaire a pu inspirer les couturiers.
La seconde partie de l’exposition est donc consacrée ( si l’on peut dire ) à la haute couture, présentée ainsi : Une iconographie inspirante pour des créateurs inspirés. De manière consciente ou non, la haute couture regorge de liens ou de clins d’œil à la religion. Dans l’ensemble les symboles ne sont pas utilisés pour délivrer un message sur la religion, mais ils sont généralement sélectionnés pour leur valeur esthétique.
détail : satin de soie, sequins
Karl Lagerfeld pour Chanel
En effet, les robes, tailleurs, exposés sont magnifiques, présentés en regard de l’objet ou du vêtement religieux qui a inspiré la création du couturier. Je ne retiens ici, pour exemple, que la veste de Christian Lacroix en lamé or brodé, ornée de perles et inspirée par un globe de mariée et par deux bouquets d’autel du XIXe siècle. Cette veste a pour titre : Péché mortel.
Globe de mariée
Casaque Péché mortel – Christian Lacroix
On ne peut pourtant prêter aucune intention blasphématoire à cette exposition qui est axée sur une rencontre esthétique entre les codes vestimentaires de la religion catholique et l’art contemporain de la mode . Elle relie, grâce à un fil original le passé au présent.
En mai dernier, le gala du Metropolitan Museum of Art de New-York, inaugurait une exposition préparée en collaboration avec le Vatican : » Corps célestes : la mode et l’imaginaire catholique ». A cette occasion, a eu lieu un défilé de mode auquel participait le milieu du luxe et de la musique. Toute la haute société new yorkaise était présente. C’est dire que ces différentes expositions ont lieu avec la bénédiction du monde catholique…
capture d’écran – exposition Lisieux
Enfin, peut-être pas totalement … Passons sur les propos d’un blog qui s’indigne en titrant : Un défilé blasphématoire et un haut clergé complice.
Le journal La Croix, en février 2018, a publié un entretien avec Laurent Cotta, conservateur, chargé de la création contemporaine au Musée de la mode de Paris. A la question : L’exposition ne risque-t-elle pas de faire apparaître le décalage entre le luxe de la mode et le discours chrétien sur la sobriété ?
Il répond :
Il faut tout d’abord faire la différence entre le protestantisme, très sobre, et le catholicisme, qui fait davantage appel, de par son histoire, aux codes aristocratiques. Le rapport entre le luxe et le sacré chez les catholiques est un sujet passionnant. Il faut savoir qu’à l’époque des grands rois en France, les broderies les plus précieuses n’étaient pas destinées aux souverains, mais bien aux grands princes de l’Église ! Car tout ce qui faisait appel à Dieu devait être à sa hauteur : somptueux. Cette exposition nous permettra de voir des choses stupéfiantes, mais également de mettre en lumière cette contradiction entre un certain délire visuel des catholiques et la sobriété du protestantisme, religion majoritaire aux États-Unis.
A cette déclaration, le journal fait un simple commentaire : « L’idée d’explorer le lien entre mode et religion est excellente, juge Laurent Cotta ». On peut penser alors que chacun aura loisir de juger en son âme et conscience …
Concernant ce défilé particulier organisé par la directrice du magazine Vogue et donnant lieu à une soirée de gala, le cardinal Timothy Dolan, lors de l’inauguration de l’exposition, a dit ceci : Vous pourriez vous demander ce que fait l’église là-dedans. C’est parce que l’église et l’imaginaire catholique, le thème de cette exposition, parlent de trois choses : la vérité, la bonté et la beauté, qui sont représentées partout, y compris dans la mode.
On pourrait dire aussi que la vérité, la bonté et la beauté sont partout et nulle part … Mais qui jetterait la pierre face aux arguments artistiques et culturels ? Sans oublier ceux de l’industrie du luxe qui préside à cet événement mondain, chaque année, aux Etats-Unis. Des célébrités dont Lady Gaga, Madonna, ou Rihanna ont défilé dans des tenues époustouflantes, couronnées de mitres, d’auréoles, parées d’ailes d’ange … Et le pape ? Qu’en pense-t-il le pape ? On n’en sait rien. Etait-il d’accord pour prêter tous ces joyaux, ces fils d’or, ces perles, ces pierres précieuses ? En réalité, il n’avait pas son mot à dire, il n’avait pas à donner son accord pour le prêt des œuvres vaticanes.
Que tous ceux qui n’iront pas à New York avant le 8 octobre, se consolent : l’exposition normande, même si elle n’a pas la couleur extravagante de celle d’Outre-atlantique, a la grande qualité de relier les imaginaires du sacré et du profane et de nous montrer les merveilles qui peuvent en advenir.
Il vous reste jusqu’au 16 septembre pour aller à Bayeux ( Hôtel du Doyen), à Lisieux (Musée d’art et d »histoire), vous serez accueillis jusqu’au 14 octobre.
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