Il n’y a pas que les mots
La petite fille de Monsieur Linh, Philippe Claudel
Il est des douleurs difficiles à exhiber ou même à suggérer sur scène. Les violences de la guerre, le deuil, l’exil, recouvrent des réalités tellement cruelles que seul le talent d’un artiste peut nous les faire effleurer. C’est ce qu’avait réussi le romancier P. Claudel en 2005 : il suivait Monsieur Linh, vieillard maigre rescapé des bombardements, dans sa fuite d’un pays asiatique, jusque dans une ville grise et froide, « sans odeurs », serrant sa petite fille contre son cœur.
Après Guy Cassiers, Célia Nogues met en scène le conte interprété par Sylvie Dorliat au théâtre du Rempart. Sur scène quelques éléments de décor évoquent l’Asie, un banc ouvragé, des voilages, une cage, un oiseau, une bougie…Mais aussi la gestuelle de la comédienne jouant la femme émigrée ou la traductrice dans le centre où les immigrés sont accueillis.
Elle incarne avec délicatesse et émotion le vieux monsieur perdu, pour qui tout l’environnement est incompréhensible, voire hostile. Heureusement son amour pour Sang Diû, sa petite fille, le soutient, ainsi que, bientôt, la rencontre avec le gros Monsieur Bark qui vient de perdre sa femme. Une relation simple se noue sur ce banc entre les deux esseulés que tout sépare, les malentendus linguistiques et culturels.
A partir de quelques phrases du texte, d’un ton, d’un objet, le spectateur voit se lever devant lui le monde imaginaire du roman, le village de Monsieur Linh, parfumé et fleuri, de l’autre côté des mers, la ville occidentale bruyante et indifférente. Il accompagne le grand-père dans cette nouvelle vie dont il repère les points forts : la voix apaisante d’un passant, une main sur l’épaule, une chanson traditionnelle, un échange de cadeaux, une allusion fugace à une guerre. Peu de choses en réalité. Mais ces points de contact participent de la construction d’une amitié.
La chute du roman m’avait saisie. Au théâtre du Rempart, j’étais comme un petit Poucet sur les traces de Monsieur Linh et de sa jolie petite fille.
Isabelle Royer
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