« Regardez mais ne touchez pas »

Compagnie Abraxas Théâtre du Chien qui fume – Avignon 2014

Il est des curiosités qui sont bien récompensées et des hardiesses dont il faut se féliciter. La curiosité, ce fut celle du metteur en scène Jean-Claude Penchenat qui découvrit par hasard, dans un petit fascicule daté de 1847, une pièce de Théophile Gautier et d’un certain Bernard Lopez.

La hardiesse fut celle de ce même metteur en scène de monter cette œuvre inconnue car, note-t-il dans la préface de la réédition du livre,  » si c’est un devoir de monter les auteurs de son temps, ce devrait l’être aussi de rechercher dans les moments forts du théâtre des couleurs inhabituelles ». Mais venons-en à cette pièce. Nous sommes dans une Espagne légendaire et plutôt intemporelle qui fut si chère aux romantiques. Théophile Gautier, on le sait, partagea cet engouement et fut, avec son fameux gilet rouge, le plus illustre de ces combattants qui livrèrent l’homérique bataille d’Hernani. A vrai dire, cette passion espagnole se nuance ici d’un peu d’ironie, se livre avec insolence à la parodie des chefs-d’œuvre du grand Hugo, de Ruy Blas surtout.

L’argument, déjà, prête plutôt à sourire. Cela commence avec une Reine emportée par un cheval fougueux et qu’il faut sauver au péril de sa propre vie. Car, même pour la sauver, toucher à cette royale personne est un crime de lèse-majesté, puni de la peine de mort par un Roi sourcilleux et une impitoyable étiquette. Evidemment d’inévitables histoires d’amour, et de mariages, ce qui ne va pas forcément de pair, corsent l’affaire. Sans parler des multiples quiproquos qui sèment de fâcheuses confusions. Et puis, comédie de cape et d’épée oblige, la pièce nous gratifie de quelques duels aux virevoltants moulinets entre un bretteur confirmé et un matamore peureux et rusé dans la plus belle des traditions : celle de la commedia dell’arte. Elle bouscule aussi cet univers figé de rutilants alguazils aux allures de pantins, de nobliaux déclinant d’interminables identités aux coruscantes sonorités, enfin de ce petit monde qui s’agite autour de cette monarchie moisie, enfermée dans des rituels obsolètes et étroitement surveillés par un dignitaire promenant avec sa fraise impeccable de pontifiants avis et de ridicules interdits.

Reste la fine escrime du texte. L’humour des auteurs et leurs formules qui à chaque fois font mouche : « Amoureux c’est un état nocturne et ambulant. », « Foi d’Espagnol, je suis prêt à lui accorder une hospitalité d’Arabe. », « Et moi qui faisais des économies de réputation pour me marier à Pâques. » Et pour finir, cette remarque du héros de la pièce, lancée comme un facétieux écho à la tragédie du Ruy Blas d’Hugo : « Favori de la Reine, c’est une superbe position politique et gastronomique. » C’est un régal pour les yeux que Jean-Claude Penchenat nous offre aussi, réglant à merveille les cabrioles de sempiternels ferrailleurs comme les airs enjoués et compassés de toutes ces figures immémoriales dont les représentations maintes fois reprises n’en exigent pas moins une parfaite maîtrise. Mentionnons aussi ce personnage créé par le metteur en scène, un certain Reniflard, tiré des Voyages en Espagne de Théophile Gautier, impitoyable maître des cérémonies qui transforme les traditionnelles didascalies en amusants rappel des actions en cours, voire en désopilantes objurgations.

Il serait injuste pour finir de ne pas rendre justice aux acteurs de cette bondissante comédie, tous parfaits dans des rôles apparemment convenus et auxquels ils apportent pourtant une touche très personnelle et très talentueuse.

 Y.SIMON Association Maison de la culture. Le Havre

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