Où en sont les maestras ?

Tandis que la deuxième édition du concours « Maestra » réservé aux cheffes d’orchestre se tient du 3 au 6 mars à la Philharmonie de Paris, le Théâtre des Champs-Elysées et l’Opéra de Paris accueillent, avec Mirga Grazinytè-Tyla et Susanna Mälkki, les grands noms de la baguette au féminin.

Par Marie-Aude Roux (Le Monde)

Décidément les temps changent. Qui aurait imaginé que, dans un entretien donné début février au Financial Times, le maestro italien, Riccardo Muti, 80 ans, se réjouirait de la place que prennent progressivement les femmes dans le monde la direction d’orchestre, estimant même que « dans les concours, très souvent, les femmes sont meilleures que les hommes : elles ont plus de tempérament, plus de vitalité et plus de passion » ?

Et de joindre la parole au geste : le directeur musical du Chicago Symphony Orchestra a choisi comme « Conducting Apprentice » la jeune Lina Gonzalez-Granados, 35 ans, après que celle-ci, classée dans le peloton de tête du concours Georg Solti en 2019, a fait ses classes auprès du Philadelphia Orchestra et de Yannick Nézet-Séguin, avant de se voir également propulsée « cheffe en résidence » à l’Opéra de Los Angeles.(…)

La deuxième édition de La Maestra se tiendra du 3 au 6 mars. Si un grand nombre de compétitrices du premier tournoi seront à nouveau présentes, plus de la moitié (132) a déposé une première inscription. Soit 202 dossiers regroupant 48 nationalités, dont 14 seulement ont été sélectionnées. Moyenne d’âge, 35 ans. Quant aux quatre lauréates de 2020, trois d’entre elles seront en concert les jours précédents – Rebecca Tong (premier prix), Stephanie Childress (deuxième prix), Holly Choe (demi-finaliste), qui partageront le pupitre avec Marin Alsop et l’Orchestre de Paris, du 1er au 3 mars, dans le cadre de l’académie La Maestra.

De New York à Copenhague

S’il a bien sûr suscité moult controverses, ce concours réservé aux femmes semble désormais inscrit dans le paysage. Une satisfaction pour l’ex-président de la Philharmonie de Paris, Laurent Bayle, dont le livre autobiographique, Une vie musicale (Odile Jacob, 352 pages, 18,99 euros), revient sur l’origine de sa création. « En France, l’urgence est réelle tant nous paraissons en retard par rapport à l’Amérique du Nord et l’Europe anglo-saxonne et scandinave, où des pratiques plus vertueuses se sont instaurées. »

Vérification faite avec la nomination de la Française Nathalie Stutzmann (56 ans), seconde femme nommée à la tête d’un orchestre américain majeur après Marin Alsop, désormais en poste à Philadelphie et à Atlanta, qui fera ses débuts la saison prochaine au Metropolitan Opera de New York dans deux productions – Don Giovanni et La Flûte enchantée –, aux côtés de ses consœurs Keri-Lynn Wilson, Speranza Scappucci et Simone Young –, du jamais-vu. Ou de Marie Jacquot (31 ans), première Kapellmeister au Deutsche Oper am Rhein de Düsseldorf, qui vient d’être choisie par le Théâtre royal de Copenhague pour succéder à Alexander Vedernikov, en 2024.(…)

Si la trajectoire de Lina Gonzalez-Granados semble désormais sur des rails, les deux benjamines, Stephanie Childress (deuxième prix) et Glass Marcano (prix de l’Orchestre) constatent qu’il y a eu « un avant et un après La Maestra ». Emule du programme El Sistema, à l’instar de son compatriote Gustavo Dudamel, la Vénézuélienne de 27 ans a été engagée à Tours comme cheffe principale invitée de l’Orchestre de la région Centre-Val de Loire. Quant à la Franco-Britannique Stephanie Childress (22 ans), promue cheffe assistante de l’Orchestre symphonique de Saint-Louis (Missouri) auprès de Stéphane Denève, la voici parmi les trois nominés de la nouvelle catégorie « Révélation chef d’orchestre » des Victoires de la musique classique, qui se dérouleront le 9 mars. A ses côtés, les Français Chloé Dufresne et Pierre Dumoussaud, soit une majorité de femmes.

Malgré leurs différences d’origine et de parcours, les quatre filles de La Maestra ont en commun le sentiment de leur bon droit à exercer cette profession si longtemps réservée aux hommes. Elles sont plus sûres d’elles que leurs aînées, moins enclines à se laisser déstabiliser par le sexisme.(…)

Plus libres et légitimes

Le sujet de la maternité n’est non seulement plus un tabou, mais il vous attire désormais une fin de non-recevoir. « On ne demande pas à un chef homme de se prononcer sur cette question », résume Stephanie Childress, faisant chorus avec ses compagnes. Pas de doute, les femmes se sentent désormais plus libres et légitimes, délivrées des fondements patriarcaux qui stigmatisent, dès l’origine de la profession au XIXe siècle, le symbole de toute-puissance qu’est la direction d’orchestre.(…)

Les choses ne sont pourtant pas si roses. Seules 19 cheffes d’orchestre ont été nommées, contre 123 hommes sur l’exercice 2020-2021, une petite soixantaine d’entre elles occupant actuellement des postes de directrice musicale ou de cheffe principale au sein des 778 orchestres professionnels permanents recensés dans le monde, déplore Nathalie Kraft dans l’enquête réalisée pour le concours La Maestra. Soit à peine 8 %. Mais elles étaient 4,3 % en 2018, et 5,9 % en 2019, ce qui indique à l’évidence une nette progression.

Le temps et les temps jouent en effet pour elles. « Il y a trente ans, il y avait peu de cheffes d’orchestre, se réjouit Rebecca Tong. Aujourd’hui, il y en a des centaines. Quel que soit le sexe, ce qui compte, c’est de faire de la musique. » Longtemps cantonnées dans des formats de moindre effectif (musique baroque ou répertoire contemporain), les femmes prennent désormais du galon symphonique. Si aucune n’a encore dirigé le prestigieux Concert du Nouvel An de Vienne, ou n’a été nommée à la direction musicale d’une des dix meilleures phalanges mondiales, quelque chose d’irréversible s’est mis en route.

En deux ans, la France a promu quatre femmes aux commandes de l’un de ses 37 orchestres permanents, passant de 2,7 % à 10,8 % de femmes. (…)

Initiatives saluées

Autre constat marquant : certaines institutions européennes réputées imprenables ont baissé la garde en 2021. Pour la première fois de son histoire, le Festival de Salzbourg a accueilli Joana Mallwitz à la tête des Wiener Philharmoniker (une phalange réputée pour sa misogynie) dans le Cosi fan tutte de Mozart, tandis que le Festival de Bayreuth, pour la première fois aussi, accueillait à bord de son Vaisseau fantôme wagnérien la « capitaine » ukrainienne Oksana Lyniv – deux initiatives unanimement saluées par la presse et le public, ainsi que par l’ancienne chancelière allemande Angela Merkel, une fidèle du Festspielhaus.

A Paris, rien qu’au mois de mars, le cœur des salles vibrera au rythme des battues féminines. A commencer par celles de La Maestra, que ce soit les lauréates cornaquées par Marin Alsop au podium de l’Orchestre de Paris, ou les nouvelles candidates 2022 concourant avec le Paris Mozart Orchestra. L’Opéra de Paris accueillera à nouveau dans la fosse de Bastille l’excellente Susanna Mälkki pour le Wozzeck de Berg (du 10 au 30 mars), le Théâtre des Champs-Elysées présentant dans le même laps de temps un Cosi fan tutte de Mozart dirigé par Emmanuelle Haïm (Concert d’Astrée) avant de recevoir Mirga Grazinytè-Tyla et son Orchestre symphonique de Birmingham, le 22 mars.

Quant aux Victoires de la musique classique, soutenues par l’Orchestre philharmonique de Nice dirigé par Ariane Matiakh (cheffe principale de l’Orchestre de Württemberg Reutlingen, en Allemagne), sa 29e édition a d’ores et déjà mis en lumière la Française Chloé Dufresne, remarquée au dernier concours de direction de Besançon, ainsi que Stephanie Childress, qui fera ses débuts avec l’Orchestre de Paris le 3 mars. Que la meilleure gagne !

Concerts

Philharmonie de Paris, Paris 19e.

La Maestra : du 1er au 3 mars, concerts avec l’Orchestre de Paris. Du 3 au 6 mars, concours La Maestra. Diffusé en intégralité sur Arte Concert et sur Philharmonie Live.

Le 12 mars avec l’Orchestre Pasdeloup. Marzena Diakun (direction). Philharmoniedeparis.fr.

Théâtre des Champs-Elysées, Paris 8e

Cosi fan tutte, de Mozart. Laurent Pelly (mise en scène), Emmanuelle Haïm (direction). Du 9 au 20 mars.

Orchestre symphonique de Birmingham, Mirga Grazinytè-Tyla (direction). Le 22 mars. Theatrechampselysees.fr

Opéra Bastille, Paris 12e

Wozzeck, de Berg. William Kentridge (mise en scène), Susanna Mälkki (direction). Du 10 au 30 mars. Operadeparis.fr

La Seine Musicale, Boulogne-Billancourt (92)

Insula Orchestra, Laurence Equilbey (direction). Les 14 et 15 avril. Laseinemusicale.com

Grand Théâtre d’Aix-en-Provence (13)

« Victoires de la Musique classique ». Le 9 mars à 21 h 30. En direct sur France 3 et France Musique. Lesvictoiresdelamusique.fr

Zahia Ziouani

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