« Il n’y a pas d’identité culturelle »
Philosophe, helléniste et sinologue traduit dans le monde entier, François Jullien (…) face au débat identitaire qui « traverse l’Europe entière », a voulu mettre la plume dans la plaie. Et mettre les outils de la philosophie au service de tous ceux qui cherchent à s’orienter dans ce débat piégé.
Tout d’abord, rappelle-t-il, « la revendication identitaire est l’expression du refoulé produit par l’uniformisation du monde ». Le global renforce le local, la mondialisation accentue le besoin de nation, l’ouverture des frontières aiguise le repli identitaire. Et « le défaut d’intégration se renverse en intégrisme ».
Ainsi, reconnaît François Jullien, l’islamisme menace bien le « commun culturel » en France(…) Le communautarisme menace donc le commun. Mais « l’identité culturelle » n’est pas le mot adéquat pour entrer dans le débat. « On se trompe ici de concept », assure le philosophe. L’identité est quelque chose de figé, alors que « le propre de la culture est de muter et de se transformer ».
La France est à la fois chrétienne et laïque, grecque et romaine, croyante et athée, etc. Ainsi, « il n’y a pas d’identité culturelle », assure-t-il, mais des « ressources » d’intelligence partagées (comme Molière ou Pascal, Rimbaud ou Hugo) qu’il convient d’activer pour résister à cette menace : « une identité se définit, des ressources s’inventorient ».
L’erreur consiste à confondre l’identité et l’identification (à la manière de l’enfant vis-à-vis de ses parents). Or la culture vise au contraire à promouvoir la capacité de « désadhérence ». En un mot, la culture crée de l’écart et non pas de l’identification (Aristote s’écarte de Platon, « le christianisme ouvre un écart avec le judaïsme », etc.)
Ces « ressources » ne sont pas non plus des « valeurs » pour la bonne et simple raison que « si j’adhère aux valeurs chrétiennes, j’aurai du mal à adhérer aux valeurs athées ». Les ressources ne s’excluent pas. Il faut donc les mobiliser contre l’essentialisme et les dérives sectaires.(…)
Philosopher, écrit-il, « c’est s’écarter, sortir des sentiers battus par l’opinion ». Ce que fait parfaitement François Jullien dans cet opuscule savant et combatif destiné à endiguer la dérive identitaire et résister à la menace de l’uniformisation.
« Il n’y a pas d’identité culturelle », de François Jullien. L’Herne, 93 pages, 7,50 euros.
En savoir plus sur http://www.lemonde.fr/idees/article/2016/10/01/mobilisons-nos-ressources_5006612_3232.html#Sp1szPmSrvTCMmqJ.99
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