LE JOURNAL DE L’ASSOCIATION MCH#4 – 2016
TRIMESTRIEL 8 Janvier 2016
Où est passé le rêve d’ « ouvrir l’accès à la culture au plus grand nombre » porté par André Malraux en 1961 quand il inaugure la Maison de la culture du Havre, première de France ?
La dernière étude sur « Les Pratiques culturelles des Français à l’ère numérique –enquête 2008 de l’Observatoire des pratiques culturelles » d’Olivier Donnat, est aussi sévère que les précédentes : cela reste un échec. « Les politiques culturelles ne sont parvenues ni à élargir les publics, ni à corriger les inégalités, ni à répondre aux évolutions technologiques. » résument Michel Guerrin et Nathaniel Herzberg dans Le Monde du 18 décembre 2015. Seul un petit nombre de passionnés de culture, également favorisés par l’éducation et le salaire, ont bénéficié des équipements construits depuis l’ère Malraux. Les milieux populaires, des jeunes, certains quartiers, sont toujours plus éloignés des lieux culturels, sauf des cinémas.
Spectateurs engagés, nous en sommes presque découragés.
Le constat est sans doute très pessimiste. En effet, des points positifs sont soulignés grâce à l’influence du numérique. La « nouvelle culture de l’écran » peut être un formidable stimulant.
Notre association persiste dans l’espoir d’un partage des arts et des œuvres. Pourquoi ?
Notre dernière Conversation sur « La nécessité de créer » a pointé que « l’artiste vise très haut, vers ce qui va donner du sens à sa vie. A la nôtre aussi. Il cherche à vivre plus fort que sa vie. » (Christine Baron-Dejours, dans la « Rubrique des spectateurs » sur le site de la MCH).
Spectateurs amateurs d’art, nous aimons ces moments où nous percevons le monde ou nous-mêmes autrement, où un espace de méditation nous est offert, où une création nous transporte hors de nous-mêmes et nous exalte. Comment ne pas vouloir partager ces bonheurs ?
« La preuve de l’existence de l’homme, affirme le peintre Vincent Corpet, c’est l’art ».
Plus largement, quelle est la responsabilité des institutions et des politiques ? Il serait naïf, imbécile ou cynique de croire que les financements des lieux dédiés, l’éducation, les actions de proximité, les initiatives des associations ne sont pas essentiels. Quand les élus augmentent le budget de la culture pour répondre aux terribles défis de notre époque, ils voient juste, même si, bien souvent, ils raisonnent en termes d’image et d’attractivité de leur collectivité. Aucun des droits humains ne peut être concrétisé sans travail de terrain.
Je me souviens du beau texte de Giraudoux à la fin de sa pièce « Electre » :
« – Comment cela s’appelle- t-il, lorsque le jour se lève, comme aujourd’hui, et que tout est gâché, que tout est saccagé, et que l’air pourtant se respire, et qu’on a tout perdu, et que les innocents s’entretuent, mais que les coupables agonisent, dans un coin du jour qui se lève ?
– Cela a un très beau nom, femme Narsès : cela s’appelle l’Aurore. »
TRIMESTRIEL 9 Avril 2016
On se souvient que pour Jean Vilar, comédien et metteur en scène, « populaire » ne signifie pas « pour le peuple, contre les élites », mais de la plus haute qualité rendue accessible à tous sans clivage social ou culturel. S’il était encore parmi nous, ne nous proposerait-il pas des œuvres inattendues, nouvelles ?
Certains spectateurs sont troublés par des pièces de théâtre privilégiant le visuel aux dépens du texte. Ils regrettent une époque où le texte était sacré. Mais pourquoi s’enfermer dans une alternative ? Catherine Désormière nous invite à débattre lors de notre Grande conversation, « Le texte en scène », le 11 juin à 15h au Volcan, « de la création théâtrale qui, sans mépris du texte, préfère le travailler, l’adapter, l’inventer sur le plateau ».
D’autres sont effrayés par la révolution numérique. Les « enfants du Net » ont très vite su bénéficier de la nouvelle circulation des idées, des informations et des œuvres, grâce à la multiplication des médias et au développement des réseaux sociaux. Les hiérarchies générationnelle et sociale n’ont plus vraiment cours. Et si la connaissance et la culture devenaient des « biens communs » bénéfiques à la démocratie ?
Umberto Eco est mort à 84 ans le 19 février 2016 à Milan. Il était philosophe, écrivain et essayiste. Sa lucidité nous montre la voie : entre une vision nostalgique de la culture et la reconnaissance sans questionnement de l’accès libre à la culture grâce à Internet, il privilégiait l’esprit critique. Loin de lui, le mépris pour la culture dite « populaire »; il analysait aussi bien le roman policier, le football, les séries télévisées ou la mode. Il voulait « voir du sens là où on serait tenté de ne voir que des faits ».
À cet égard, l’exposition dans la Petite Galerie du Louvre : « Mythes fondateurs. D’Hercule à Dark Vador » qui se tient jusqu’au 4 juillet 2016 est significative. Elle réconcilie les plus jeunes avec le musée, espace de découverte et de plaisir partagés. Faut-il craindre un rejet du « mélange des genres artistiques », comme le confie la conservatrice en chef ? Ne doit-on pas plutôt déplorer les inégalités sociales et le vieillissement des publics ?
En littérature, Umberto Eco affirmait dans le journal Le Monde du 30 mai 2015, préférer l’écrivain qui ne donnait pas aux lecteurs ce qu’ils attendaient mais leur disait : « Je suis un autre » plutôt que « Je suis comme toi ».Plus que jamais en ces temps terribles où une poignée d’individus menace la démocratie, ses valeurs et nos libertés, le XXIème nous pose des défis multiples : celui de donner une juste place au passé sans nous fermer au présent, celui d’être curieux sans crainte et ouverts à la découverte, celui de refuser ce que l’historien Michelet appelait « la terrible ignorance dans laquelle nous sommes les uns des autres ». •
TRIMESTRIEL 10 Octobre 2016
« Qui a dit que la culture était sévère, voire ennuyeuse ?… Ce besoin fondamental de l’homme est avant tout un plaisir. » affirme Raymond Charpiot, président de la Maison de la culture du Havre de 1970 à 1985, dans Utopie.
L’aventure de la mise en œuvre de ce plaisir, « la culture partagée », est le sujet du livre Culture et démocratie, une histoire de la Maison de la culture du Havre que publie l’association MCH aux Presses universitaires de Rouen et du Havre.
Il fallait être fou pour se lancer dans l’aventure des Maisons de la culture ! Des « cathédrales » offertes par André Malraux à l’art du XXe siècle, après la 2nde guerre mondiale, ses pénuries, ses difficultés politiques, économiques, sociales.
Ses rêves : l’accès aux œuvres d’art, patrimoine commun, l’égalité culturelle, des liens nouveaux entre l’État et les collectivités locales. Et dans le même esprit que Jean Zay, ministre de l’Éducation nationale et des Beaux-arts du Front Populaire.
En 1961, le ministre des Affaires culturelles inaugure au Havre la 1ère Maison de la culture de France, confiée à des professionnels, des élus et une association enthousiastes et tenaces.
L’originalité du projet est de créer un espace de démocratie en confiant à « des citoyens rassemblés dans une association de droit privé à but non lucratif une mission de service public », comme le rappelle l’ancien directeur Alain Milianti.
À partir de là, sa réalisation est entravée par mille embûches : inventer constamment des passerelles entre la scène et les non-publics ; naviguer entre les tentations du divertissement et de l’élitisme ; trouver un lieu pérenne (le musée Malraux, le théâtre de l’hôtel de ville, les chapiteaux et enfin, après dix ans de pétitions, l’Espace Niemeyer) ; braver les oppositions politiques ; affronter les restrictions budgétaires, se jouer des mépris et des indifférences…
Mais cette histoire est aussi celle d’une réussite : la belle architecture des Volcans, les feux des spectacles passés –recueillis dans le livre de photographies 50 ans de création, 50 ans d’émotions publié par la MCH et encore disponible–, et à venir, l’action des professionnels, le soutien des élus, la formation de publics, l’engagement de spectateurs fidèles et actifs, conscients que la culture n’est pas un outil de prestige mais un ferment d’intelligence et de liberté.
Cet ouvrage s’adresse à tous les Havrais, pionniers dans cette aventure comme dans d’autres, et à tous ceux que la vie culturelle intéresse. Il est nécessaire : des historiens, des acteurs, des spécialistes, font pour la première fois le récit de cette histoire passionnante et révolutionnaire. •
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