La vie impossible. En attendant Godot, Samuel Beckett

La vie impossible
Nous voulons voir la pièce de Samuel Beckett En attendant Godot, le meilleur spectacle du Off selon beaucoup : ces « clochards célestes » nous parlent de nous. Qui sont-ils ces êtres plantés autour d’un seul arbre étique, dans une attente sans fin d’un mystérieux Godot ?
C’est Laurent Fréchuret qui nous présente sa mise en scène avec la compagnie Théâtre de l’Incendie aux Halles. Un décor minimaliste sinon aride. Nous voyons de la désespérance dans ces dialogues et ces deux personnages principaux qui n’en finissent pas de tourner en rond. « POZZO Vous n’avez pas fini de m’empoisonner avec vos histoires de temps ? C’est insensé ! Quand ! Quand ! Un jour, ça ne vous suffit pas, un jour pareil aux autres il est devenu muet, un jour je suis devenu aveugle, un jour nous deviendrons sourds, un jour nous sommes nés, un jour nous mourrons, le même jour, le même instant, ça ne vous suffit pas ? Elles accouchent à cheval sur une tombe, le jour brille un instant, puis c’est la nuit à nouveau. En avant! »
Une sorte de simplicité dans le jeu des acteurs met en valeur la profondeur mais aussi la drôlerie du texte. Malgré des dialogues pathétiques, souvent tragiques, le ton n’est pas toujours à la gravité. Jean-Claude Bolle-Reddat est un Estragon touchant, geignard, plaintif : « Rien ne se passe, personne ne vient, personne ne s’en va, c’est terrible. » Il a mal aux pieds, a des pertes de mémoire, ne reconnait ni le lieu ni le moment, il aime son indéfectible compagnon. « On trouve toujours quelque chose, hein, Didi, pour nous donner l’impression d’exister. » Humblement, simplement humain, il nous fait souvent sourire ou rire, même quand il est désespéré. «Et si on se pendait ?».
Si l’arrivée de Pozzo tenant en laisse Lucky ne nous surprend plus, comme une vision sortie d’un film de Fellini, c’est Maxime Dambrin, frêle captif, qui crée un moment de révélation, un vacillement juste : quand il ôte son chapeau et dévoile lentement ses cheveux longs, très blonds, tel un ange traîné par le cou, on s’interroge sur son identité, saisis.
Le discours de Lucky, ici, morceau de bravoure attendu, est extraordinaire, irrésistiblement comique, introduit par des répliques ahurissantes !
« Que préférez-vous ? Qu’il danse, qu’il chante, qu’il récite, qu’il pense, qu’il… VLADIMIR Il pense ? POZZO Parfaitement. (…) Alors, vous voulez qu’il nous pense quelque chose ? ESTRAGON J’aimerais mieux qu’il danse, ce serait plus gai. POZZO Pas forcément. ESTRAGON N’est-ce pas, Didi, que ce serait plus gai ? VLADIMIR J’aimerais bien l’entendre penser.(. ..) POZZO Eloignez-vous. Pense. LUCKY D’autre part, pour ce qui est… POZZO Arrête ! Là ! Pense ! LUCKY Etant donné l’existence telle qu’elle jaillit des récents travaux publics de Poinçon et Wattmann,…etc. »
Dans un incoercible fou rire, nous avons le sentiment de redécouvrir ce texte parodique, pseudo-intellectuel avec ses tics et ses tocs, ses figures de rhétorique, ses déraillements, son méli-mélo d’informations improbables !
Mort des illusions et du langage après-guerre. Le comédien et metteur en scène Pierre Debauche nous rappelait avec force l’importance du théâtre dit « de l’absurde » lors de notre colloque du cinquantenaire de la Maison de la culture du Havre : « Beckett enfin nous tirait d’affaire : il refondait la tragédie avec des espérances de vie de 15 secondes et confiait les enjeux de la soirée à des clowns ; il réinventait la vraisemblance avec « En attendant Godot ».
J’étais à la création au Théâtre Babylone, on était 7 dans la salle, j’étais venu de Belgique en permission de mon service militaire. J’ai vu la pièce le mardi, le mercredi, le jeudi, le vendredi, le samedi. Fou de joie de voir Roger Blin, Jean Martin, Pierre Latour et Lucien Raimbourg, joie d’entendre des mots sur lesquels il était possible de ne pas vomir. Quelque chose venait de survenir.
Et ces tentatives on les devait à des hommes courageux, d’origine étrangère chacun des trois, l’aviez-vous remarqué ? Alors nos bons apôtres de service ont appelé ce sauvetage « théâtre de l’absurde ». Ah ouiche. Ils croyaient donc que nous allions jouer comme en 1939, comme s’il ne s’était rien passé. Comme s’il ne s’était rien passé. Eh bien non. Hiroshima et Dachau nous l’avions intégré à nos esprits, à nos sanglots, à nos survies, à nos comportements. »

C’est ce dont nous rendons grâce à Laurent Fréchuret, nous faire entendre un texte majeur, longtemps vilipendé, et qui n’a rien perdu de sa force, quelle qu’en soit l’interprétation.
Isabelle Royer
Annette Maignan
Sylvie Barot

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