« La Résistible Ascension d’Arturo Ui », de Bertolt Brecht. Mise en scène Dominique Pitoiset

Fabienne Darge s’entretient avec le metteur en scène (extraits)
Après Tristesses d’Anne-Cécile Vandalemm, c’est Dominique Pitoiset qui s’intéresse aux populismes : « Voir comment le rien peut devenir le pire »

(…)

Je me suis dit que ce qui pouvait être intéressant, c’était l’idée de la « résistible ascension » : le côté jeu « stop ou encore ». Qu’est-ce qui favorise un tel personnage, une telle idéologie, alors qu’on pourrait dire stop ? (…) Le populisme étant ce qu’il est aujourd’hui, cela ne m’intéresse pas de venir ­donner des leçons sur un plateau de théâtre. Soit on ­s’engage dans la vraie vie, soit, sur une scène, on essaie de manifester les choses autrement. C’était vraiment un préalable.

Vous avez quand même choisi de la monter…

Oui, parce que j’ai rencontré la personne qui s’occupe des archives au Berliner Ensemble [l’ancien théâtre de Brecht] et qu’elle m’a permis d’accéder à la pièce par Heiner Müller. Là, je me suis dit que c’était pas mal, que ça allait déjà beaucoup plus droit. Et puis, la pièce entre fortement en résonance avec le contexte actuel. (…)

Comment avez-vous travaillé pour dépasser les côtés datés de la pièce ?

La nouvelle traduction de ­Daniel Loayza et les aménagements opérés à partir de cette traduction privilégient une lecture beaucoup plus réaliste, plus droite, de la pièce, loin du théâtre de foire, du théâtre épique de dénonciation. Nous avons recherché la crédibilité, avec un cartel du chou-fleur qui s’apparente plus au patronat incarné par le Medef, par exemple.

(…)Ce qu’on appelait les effets de mise à distance du jeu brechtien, pour ne pas parler de ce terme incompréhensible de distanciation, je l’ai un peu désamorcé. J’ai essayé au contraire de travailler sur une crédibilité immédiate, comme dans les téléfilms : un jeu beaucoup plus réaliste.

Avez-vous complètement sorti la pièce de son contexte ­historique, et gommé toutes les allusions au nazisme ?

Non, nous en avons gardé, mais comme il peut y en avoir dans des groupuscules d’extrême droite aujourd’hui. On commence comme dans Six Feet Under, avec des fossoyeurs ou des croque-morts, un petit groupe d’individus qui profitent des occasions qui se présentent pour grandir, tels des parasites qu’ils sont, au détriment du grand corps ­malade. C’est ce que montre Brecht, mais ça nous parle de nous : comme nous sommes en plein doute, en pleine déstabilisation permanente et que notre grand corps ­politique est bien malade, décrédibilisé aux yeux de beaucoup, c’est la porte ouverte à ceux qui ont l’art de mettre le pied dans la porte et de prospérer sur des thèmes tels que l’autorité, l’illégalité ou l’identité. Ce n’est pas le chou qui nous pourrit la vie, c’est le ­débat sur l’identité.

Comment négociez-vous la dimension comique, farcesque de la pièce ?

Je ne la négocie pas. C’est un choix : il y a des choses qui ne me font absolument pas rire, et l’arrivée d’un M. ou d’une Mme Ui au pouvoir fait partie de ces choses-là. (…)

Comment avez-vous travaillé avec Philippe Torreton sur ce personnage qui est souvent montré comme une marionnette ou une baudruche ?

Ce n’est pas le cas dans notre spectacle. Ce qui nous intéresse, c’est la banalité effrayante du personnage, de voir comment le rien peut devenir le pire. C’est un homme qui peut prendre tous les visages. Ce pourrait être un élu dans n’importe quelle ville de notre pays, et qui tiendrait des discours populistes comme on en entend beaucoup sur BFM-TV et ailleurs. Arturo Ui, c’est l’ordinaire, c’est l’homme normal. Mais on peut toujours dire non à M. Ui.

  • Fabienne Darge
    Journaliste au Monde

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