« La Leçon », d’Eugène Ionesco

Par la Compagnie des Perspectives – Théâtre du Vieux balancier, Avignon 2014

La Leçon est peut-être l’œuvre la plus caractéristique de ce théâtre de l’absurde qui fleurit dans les années cinquante avec Adamov, Beckett, Pinget et, bien sûr, Ionesco.

Ici, en effet, c’est tout le savoir humain, comme les maîtres les plus éminents sont chargés de nous le transmettre, qui perd toute signification.  Les chiffres, eux-mêmes, qui paraissent d’une si implacable logique, ne savent plus à quel signe se vouer, entre l’addition et la soustraction, le plus et le moins. Et rien ne semble pénétrer la cervelle obtuse d’un élève impitoyablement sommé de répondre par un professeur aux méthodes également impitoyables.

Quant au langage, malgré de savantes considérations linguistiques et philologiques du professeur en question, il demeure une énigme absolue, « un aboli bibelot d’inanité sonore », pour paraphraser Mallarmé. On retrouve là une des obsessions d’Ionesco, telle qu’elle s’exprime, ou plutôt ne parvient pas à s’exprimer : « celle de l’étrangeté des vocables que nous utilisons et que l’on découvre, notamment, lors de l’étude d’une langue étrangère. Et justement Ionesco, ce Roumain, écrit dans une langue apprise, la nôtre.

Mais on retrouve encore dans La Leçon une autre thématique récurrente dans l’œuvre de l’auteur :  la critique du totalitarisme, de cette « volonté de possession » dont parle Bruno Dairou, le metteur en scène de la pièce.  Celle-ci s’exaspère dans un couple dominant/dominé, avatar de la relation maître/esclave, reprise dans la relation entre le maître et l’élève. Et Ionesco, comme Bruno Dairou, n’ignorent rien de cette fonction agonistique du théâtre ou les conflits sont portés à leur plus haute intensité. Le spectacle met ainsi en œuvre une inexorable confrontation entre le Maître, incarné par Arthur Schmidt-Guezennec, avec une violence soutenue et qui monte dans un insoutenable crescendo et l’élève, Antoine Robinet, parangon de soumission qui joue, dans un registre pathétiquement pitoyable, le souffre-douleur de ce pédagogue tortionnaire.

Une tension qui serait vite insoutenable si Ionesco n’avait pas épicé les cours de langues appliquées de cet étrange enseignant d’exemples plutôt cocasses : « Les roses de ma grand-mère sont aussi jaunes que mon grand-père qui est asiatique. » Et il n’est pas en reste dans les sciences exactes où il invente le plaisant pléonasme de « ressemblances identiques ». Cependant, il arrive un moment où les mots sont aussi les choses qu’ils désignent, où le couteau n’est plus seulement un terme aux sonorités arbitraires mais l’instrument redoutable d’un dénouement, absurde évidemment, tragique, seulement si l’on a oublié, comme nous y invite l’auteur, de prendre les choses graves à la légère.

Et c’est bien ainsi que Bruno Dairou (alias Philippe Seger) a choisi de monter la pièce. Avec une alternance parfaitement maîtrisée entre les moments les plus dramatiques et ceux où les propos oiseux, les incohérences verbales nous font pénétrer dans un univers insensé, au sens premier du terme, et dans une absolue déréliction du langage qui entraîne les personnages dans une folle dérive.

Yoland SIMON Radio Albatros

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