« La culture prémunit la population contre la soumission à un dictateur ».

Par Emin Alper, réalisateur turc

L’idée que l’art et la culture élargissent notre champ de liberté, en augmentant notre imagination, en nous laissant penser l’impensable, en multipliant nos moyens d’expression, est une idée qui nous est familière. Cependant, en des temps extraordinaires, l’art et la culture peuvent-ils nous aider à défendre nos libertés ?

Cette question n’a peut-être aucun sens pour beaucoup, mais elle est tout à fait pertinente dans un pays comme le mien(…)

Sommes-nous tout à fait impuissants alors qu’une tyrannie s’approche lentement, mais de manière irrévocable ? L’art, la culture et l’histoire ne peuvent-ils pas nous aider à sauver nos libertés ?

Dans un pays développé, l’utilité de l’art et de la culture est un sujet de discussion récurrent. On vous demande parfois directement ou indirectement pourquoi une société ayant peu de moyens devrait dépenser une partie de ses revenus pour l’art et la culture, car cela ne semble pas être d’une grande utilité dans la vie réelle. En réponse, je peux sortir de mon sac des arguments tout prêts : l’art améliore la capacité d’intelligence du peuple, donc de la force de travail, et conduit ainsi à une augmentation de la productivité de l’industrie et, de ce fait, à l’augmentation du revenu national.

« Puisque l’art et la culture ont besoin de liberté, la liberté est un facteur essentiel de la croissance du PNB »

Peut-être pourrions-nous utiliser des arguments semblables quand il s’agit de protéger nos libertés. (…)

Nous avons de nombreuses raisons de penser que l’art et la culture aident à produire des gens cultivés ayant un sens développé de l’empathie, de la maîtrise de soi et du respect des autres, et toutes ces qualités diminuent la probabilité d’abandonner la société à un dictateur. En fait, c’est juste une question de probabilité. Max Weber croyait que la politique parlementaire serait comme une école où des leaders charismatiques ayant un talent authentique recevraient un enseignement, comme ce fut le cas de la tradition parlementaire anglaise qui a produit des leaders intelligents, talentueux et éloquents tels que Disraeli, Gladstone, etc.

Cependant, la République de Weimar (à laquelle Max Weber a lui-même contribué) a produit en quelques années un autre leader charismatique, très différent de celui que Max Weber avait envisagé. Ni la République de Weimar ni l’héritage culturel riche et brillant de Goethe, Thomas Mann, Bertolt Brecht et Alfred Döblin n’ont pu sauver le pays des bottes militaires. L’art et la culture ne peuvent offrir des garanties pour sauver nos libertés ; la science, l’histoire, l’expérience et la raison ne le peuvent pas plus.

Cependant, l’art peut faire quelque chose contre la tyrannie. Il peut nous aider à survivre. Il peut créer une certaine forme de liberté que personne ne peut nous enlever. La liberté d’être en contact avec des personnages véritables ou imaginaires de grands chefs-d’œuvre de l’histoire culturelle de l’humanité. La liberté d’avoir des conversations avec des fantômes qu’aucun despote ne peut voir. Les fantômes qui vous disent que vous n’êtes pas seul, et qui vous encouragent à partager vos expériences avec eux.(…)

En prison ou au dehors, nous essayons tous de survivre en imaginant que nous parlons à des personnes réelles ou imaginaires, parfois au prisonnier révolutionnaire Giulio Manieri des frères Taviani, parfois aux exilés politiques romantiques de la Russie du XIXe siècle, comme les appelle le grand historien E. H. Carr, parfois à Alexandre Soljenitsyne au goulag, parfois aux héros de Joseph Conrad, Milan Kundera, Bernardo Bertolucci, Carlos Saura et d’autres. Personne ne peut les voir, personne ne peut nous les prendre.

En savoir plus sur http://www.lemonde.fr/idees/article/2016/11/17/l-art-rempart-contre-l-oppression-et-refuge-de-la-liberte_5032644_3232.html#WETzIzyzeHxwe2RA.99

Le dernier film d’Emin Alper, Abluka. Suspicions (sortie nationale mercredi 23 novembre), est programmé en avant-première au 27e Festival international du film d’histoire de Pessac, dont le thème est « La culture et la liberté ».

TELERAMA : Kadir, qui vient de sortir de prison, accepte de travailler en secret pour la milice locale. Il se met alors à fouiller les poubelles afin de s’assurer qu’elles ne contiennent pas des produits ayant pu servir à produire des explosifs et observe le voisinage.(…)

Un film turc futuriste, voilà de quoi aiguiser la curiosité, surtout quand l’avenir que l’on découvre évoque étrangement le présent. En proie aux attentats, Istanbul retentit d’explosions, de sirènes de police. Des convois militaires sillonnent la ville et les arrestations se multiplient. Un homme sort de prison mais sa liberté n’est que conditionnelle : pour la garder, Kadir devra collaborer avec le pouvoir en place et fouiller les poubelles, à la recherche d’indices dénonçant la présence de terroristes. Frédéric Strauss

http://www.telerama.fr/cinema/films/abluka-suspicions,512953.php

 

 

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