La vraie vie est au présent.
Gérard Mordillat et Odile Conseil ont déjà gagné leur pari : l’affluence des spectateurs à l’ouverture du Festival Ciné-salé, mercredi 18 octobre, a permis au film « La villa », de Robert Guédiguian, aimé des cinéphiles et des militants, d’être vu par un large public mélangé.
Unité de lieu, unité de temps, unité d’action : la pièce se passe dans une calanque proche de Marseille, dans quelques habitations désertées en bas d’une impasse, un « bout du monde », face à la mer. La caméra va et vient entre la petite baie et la Méditerranée, s’attarde sur chaque personnage, en plans rapprochés ou en groupe.
La famille, les générations, l’amour, la politique et la lutte des classes, la culture, la vie et la mort…
Film dense plein d’émotions, « La villa » met en scène un de ces moments rares, réunion d’une famille autour du père après son AVC : une « parenthèse« , le temps perdu et retrouvé ?
En fait non, la vraie vie est au présent. C’est le présent des soins qu’on offre au père inconscient, de la réconciliation de la fratrie, de la déclinaison des amours, des choix de vie, de l’accueil des enfants migrants…
En arrière-plan, le passé comme utopie.
Les parents ont tous la nostalgie d’un monde ancien, au bord de disparaître, celui qu’ils ont vécu, rêvé et fabriqué de leurs mains, comme cette villa, cœur d’enfance et d’idéal : il y a de la Belle équipe de Julien Duvivier (1936) dans ces souvenirs et leur devenir. Il y a du Tcheckhov dans cette mélancolie…Images sépia d’un passé enfui… Que transmet-on de ses convictions et de ses combats ?
Les parents d’Yvan préfèrent quitter ce monde qu’ils ne reconnaissent plus malgré leur fierté de leur fils médecin. Jean-Pierre Darroussin campe la figure de Joseph, militant dépressif, que son amour pour une jeune étudiante Bérangère, ne suffit plus à réconforter. On pense à Robert Linhart, sociologue entré comme ouvrier spécialisé dans l’usine Citroën et auteur d’un ouvrage célèbre, L’établi paru en 1978. Ariane Ascaride joue Angèle, une comédienne blessée par la mort accidentelle de sa petite fille et la perte de sa jeunesse.
En contraste, les plus jeunes dirigent des entreprises ou imaginent d’attirer des touristes. Seul le marin pêcheur Benjamin, amoureux d’Angèle, reprend avec ferveur le flambeau du théâtre, « le lieu unique où l’on peut être un autre ». Il est joué par un Robinson Stévenin aux yeux rieurs.
« Le monde vient par la mer » dit Guédiguian. Barque de riches touristes dont on imagine facilement qu’ils aimeraient acheter le lieu. Clandestines et invisibles embarcations de migrants, cause des descentes de militaires en jeep à leur recherche. On se révolte avec le réalisateur de cette irruption d’uniformes.
La découverte de trois enfants effrayés bouleverse le petit groupe qui décide de leur offrir une « parenthèse ». Cette image d’un monde dit « envahissant et menaçant » désarçonne nos craintes sécuritaires.
Le sujet du film, déclare Robert Guédiguian, c’est les « vieux chemins qu’on doit entretenir, les nouveaux que l’on doit trouver ». C’est, par la grâce d’un lieu et d’une équipe aimés, l’évocation, par petites touches et « mine de rien », d’un présent peut-être encore riche des valeurs portées par les plus vieux. Encouragé par Bérangère, Joseph témoignera dans un ouvrage de ses engagements, Angèle accepte l’amour de Benjamin, Armand débroussaille la garrigue en prévision d’incendies ravageurs. Les trois petits retrouvent la parole.
La dernière image nous montre le père tournant la tête vers ces appels criés sous les voûtes du viaduc par le groupe des deux fratries. Les enfants lancent le prénom de leur petit frère décédé, vers le ciel comme un au revoir et un chant d’espoir.
Isabelle Royer
Quand j’avais 20 ans, je pensais qu’un jour les choses iraient mieux pour tout le monde. Aujourd’hui, je crois plutôt qu’il faut toujours se battre pour que le monde ne devienne pas pire que ce qu’il est. En écrivant ce scénario, j’ai eu le sentiment d’être sous les auspices de Tchekhov plutôt que de Pasolini. De faire un film à la fois triste et beau, empreint d’une forme de résignation, d’un sentiment d’impuissance.
Mais il y a des choses qui nous préservent un peu : la beauté du lieu, la lumière, les trois enfants réfugiés… Et puis mes personnages ne baissent pas les bras : ils agissent sans savoir si cela va améliorer le monde ou pas, mais ils le font. Et ils finissent par trouver une cause qui les dépasse, comme j’ai moi-même passé ma vie à en chercher. J’aurai toujours un rêve égalitaire. Et même si les inégalités ne disparaissent pas, je pense, comme Camus, qu’on peut être un Sisyphe heureux.
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