« Je n’avais jamais vu la mer », de Pierre-Philippe Devaux

Par la Compagnie Coup de Chapeau, Espace Saint Martial – AVIGNON 2014

L’écrivain acteur nous présentera alors son père. Car Pierre-Philippe Devaux a eu l’idée d’écrire ce Je n’avais jamais vu la mer à partir des souvenirs de ce père qui s’est, comme tant de jeunes de sa génération, farci vingt-sept mois d’Algérie. Plus de deux années d’une belle jeunesse à faire cette guerre qui n’osait dire son nom, s’affublait de l’hypocrite appellation de « Pacification ». D’abord ce n’est pas si terrible. Se déroule plutôt dans une ambiance pagnolesque avec la découverte de la Méditerranée que ce jeune Lyonnais n’avait jamais vue. C’est toujours beau la mer quand on ne la connaît pas. Même quand on la traverse pour participer sur l’autre rive aux fameux « événements », comme on disait pudiquement. Et puis le jeune homme a l’insouciance de son âge : « Je partais pour l’aventure, je n’avais pas peur, j’avais vingt ans. » Belles illusions.

spectacle_12046Loin de découvertes aux charmes exotiques et vaguement orientaux, notre héros malgré lui va connaître les joies de la formation militaire. Pierre-Philippe Devaux nous les conte, les joue plutôt, avec une verve, parfois truculente. On y découvre le beau langage des gradés chargés d’initier cette saloperie de bleusaille de merde au respect de la discipline, à la marche au pas et au lancer de grenade, entre autres gaietés de l’escadron. Absurdes gesticulations et ordres aboyés par de vieilles ganaches aux certitudes épaisses et au front bas. Un dressage au rituel immuable et que nous restitue avec talent Pierre-Philippe qui, seul sur scène interprète avec brio tous les personnages de cette tragi-comédie. Car un beau jour, « on est prêts à combattre, prêts pour la violence, prêts pour la haine », et il faut aller sur le terrain des opérations, comme on dit toujours aussi pudiquement.

Et la saloperie de bleusaille de merde se retrouve au cœur de tous les dangers dans un environnement inconnu aux menaces diffuses. Certes on a donné à ces pauvres recrues un manuel d’arabe élémentaire censé permettre le contact avec la population locale, surtout pour la surveiller. Elle se méfie la population locale, ignore les velléités linguistiques de nos trouffions, baragouine un français approximatif et multiplie les signes d’une allégeance un peu surjouée. Chacun cherche avant tout à sauver sa peau. A revenir sain et sauf de ces accrochages, comme encore une fois on dit pudiquement, avec un ennemi, sournois, cela va sans dire, honni puisque c’est l’ennemi. En vérité personne ne comprend grand chose à cette histoire, en dépit du retour du plus illustre des Français et de son fameux je vous ai compris.

Il faut saluer le jeu de Pierre-Philippe Devaux qui incarne avec une sorte de candeur et une belle faconde les tribulations de ce père, engagé dans ce conflit où la France n’en finissait pas d’en finir avec les contradictoires enjeux d’un passé colonial compliqué. Mais le spectacle n’a aucune visée didactique. Il évite les pièges idéologiques et les rancoeurs ressassées des protagonistes de cet épisode douloureux de notre Histoire. Le papa de Philippe nous fait plutôt penser à ces personnages pris dans le rude engrenage d’événements dont les raisons leur échappent : Fabrice à Watterloo, le brave soldat Schweik. « Je suis senti seul avec mon histoire », confie-t-il à l’occasion d’une permission. Grâce à ce fils bien inspiré, elle est pourtant devenue la nôtre, sans complaisante compassion, mais avec une simple empathie… filiale.

Yvette SIMON

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