« J’ai pas fait l’ENA ni Sciences Po, j’ai pas fait HEC/J’ai pas b’soin d’ça pour m’exprimer quand je vois des pauvres sur la chaussée »
L’atelier du Rudloff est une parmi les multiples activités d’une institution qui depuis deux ans s’est remise à vivre de toute part, au point de ressembler à une ruche en ébullition. « C’était vraiment la première idée qui me tenait à cœur, que cette maison vive du matin au soir, et qu’elle soit habitée par des artistes, sourit Stanislas Nordey, quand on le croise dans « son » théâtre, au retour du lycée. Trop souvent, en France, les théâtres ne sont habités que par le personnel administratif. »(…)
« Le premier enjeu, c’était que cette maison redevienne une machine de création et de production, précise Nordey. C’est autour de l’activité artistique que se structure tout le projet. »(…)
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(…) Cinquante élèves, qui ont réussi le concours ultra-sélectif de l’école. Environ 800 candidats, et 25 élus par année de recrutement (le concours a lieu deux ans sur trois), parmi lesquels douze élèves acteurs, deux élèves metteurs en scène, un ou deux élèves dramaturges, quatre élèves scénographes-costumiers et six élèves régisseurs.
Entre les élèves de première année et ceux de troisième année, on voit qu’un grand bond a été franchi vers la professionnalisation. Dans une vaste salle où les tables ont été réunies en carré, les douze élèves acteurs de première année, accompagnés par l’élève dramaturge, mènent un atelier avec le metteur en scène Jean-Pierre Vincent (qui dirigea le TNS de 1975 à 1983) et son vieux complice, le dramaturge Bernard Chartreux.
Les deux hommes ont choisi, pour cet atelier qu’ils poursuivront sur les trois ans de leur scolarité avec les élèves, de travailler sur L’Orestie, d’Eschyle. Un retour aux sources du théâtre et un continent quasiment inconnu pour ces jeunes gens, assis à la table, qui en sont au déchiffrage et au défrichage du texte. « On ne vient pas au théâtre pour faire un voyage tout près de chez soi, leur dit Jean-Pierre Vincent, qui les nourrit de multiples références historiques et contemporaines, tout en les encourageant à rester vivants. Le texte, il faut le gorger de vie : le luxe des mots, le plaisir de dire des mots qui ont du jus, putain ! » Rires des élèves, regards admiratifs, certains légèrement teintés d’ironie.
A l’autre bout de l’étage consacré à l’école, changement de décor. Un autre maître du théâtre français, Alain Françon, répète avec les élèves de troisième année un montage de textes de l’auteur allemand contemporain Botho Strauss. Ce ne sont plus des élèves que l’on voit, mais bien des acteurs, qui jouent (bien) et que Françon dirige comme un metteur en scène. (…)
D’une promotion à l’autre, on voit que quelque chose a changé, aussi. Dans ce groupe des élèves de première année se déclinent toutes les couleurs de la France. Briac Jumelais, le secrétaire général du TNS, y voit « le résultat de la politique extrêmement volontariste » menée depuis deux ans : « Dans cette nouvelle promotion, sur douze élèves acteurs, ils sont huit à être “issus de la diversité”, comme on dit aujourd’hui. Et pas parce qu’on a fait de la discrimination positive, mais parce qu’on a pris les meilleurs. Simplement, à la suite du travail que l’on mène pour faire connaître le théâtre à d’autres publics que ceux qui le connaissent déjà, nous avons eu une centaine de candidats, sur 800, appartenant à cette diversité, quand les années précédentes nous n’en avions qu’une trentaine. »
Le TNS est aussi en première ligne sur 1er Acte, un programme mené avec le Théâtre national de la Colline, à Paris, et le CCN2-Centre chorégraphique national de Grenoble, qui vise à former de jeunes acteurs issus de cette même diversité, pour augmenter leurs chances aux concours et lutter contre les discriminations sur les scènes françaises. (…)
Mais il est 19 heures et des poussières, bientôt l’heure d’aller voir La Fonction Ravel, de Claude Duparfait. Le spectacle est présenté dans le cadre de L’Autre Saison, encore un volet du dispositif de combat inventé par Nordey. Le directeur du TNS a choisi de consacrer chaque saison le budget d’une création pour offrir, au sens strict du terme puisque les propositions sont gratuites, une quarantaine de rendez-vous artistiques : rencontres, lectures, spectacles, etc., en vue d’attirer là aussi de nouveaux spectateurs. Et à voir, en compagnie d’un public largement jeune et étudiant, ce spectacle où le comédien-auteur Claude Duparfait raconte comment, à l’adolescence, la rencontre avec l’œuvre de Maurice Ravel lui a sauvé la vie – lui, l’adolescent de Laon, dans l’Aisne –, le projet du TNS prend tout son sens.
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(…) Stanislas Nordey est donc seul directeur du TNS, mais il s’est entouré d’un solide collectif d’« artistes associés ». Celui-ci comprend dix acteurs : Emmanuelle Béart, Audrey Bonnet, Nicolas Bouchaud, Vincent Dissez, Valérie Dréville, Claude Duparfait, Véronique Nordey, Laurent Poitrenaux, Dominique Reymond et Laurent Sauvage. Quatre auteurs : Claudine Galéa, Marie NDiaye, Pascal Rambert et Falk Richter. Et six metteurs en scène : Julien Gosselin, Thomas Jolly, Lazare, Christine Letailleur, Blandine Savetier et Anne Théron. C’est autour de leurs désirs d’artistes que s’organise la programmation du TNS. Erich von Stroheim, la pièce de Christophe Pellet mise en scène par Stanislas Nordey, a ainsi été choisie par Emmanuelle Béart.
- Fabienne Darge
Journaliste au Monde
En savoir plus sur http://www.lemonde.fr/culture/article/2017/01/27/theatre-de-ruche-a-strasbourg_5070303_3246.html#Se1djH4YvdYO7mPQ.99
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