« Chambre 20 », exposition de Sophie Calle
EXPOSITION à l’Hôtel La Mirande à Avignon.
19 juillet 2013
Nous avions vu l’été dernier, dans la chapelle des Célestins, l’exposition de Sophie Calle consacrée à sa mère qui venait de mourir : le parcours était moins funèbre qu’évocation de la vie et de la personnalité de Monique, Rachel.
Cette année, nous sommes conviés à la rencontrer chambre n°20 à l’hôtel de la Mirande, chic et désuet, derrière le Palais des Papes. Toute la suite est investie d’objets du passé de Sophie Calle, objets significatifs, objets appelant un cartel narratif, apparemment autobiographique.
Une file d’attente se forme devant l’hôtel. Vient-on pour visiter un hôtel avignonnais luxueux ? Vient-on pour rendre visite à la performeuse dont on se demande quelle sera la dernière proposition ? On nous intime de rester 30 minutes, pas plus, par respect pour les autres visiteurs.
Et nous voici dans un petit appartement ancien, à chercher et à lire, parfois après attente, parfois en se contorsionnant, des mots explicatifs, affichés dans l’entrée, le cabinet de toilette, la penderie, la coiffeuse… Rapidement l’intime s’affiche : elle raconte par exemple que, jeune femme, elle mimait avec Greg, son mari, l’action de pisser debout, fantasme de virilité mis en acte. Le texte est cru. Il donne le ton : la vie privée de Sophie Calle sera exposée, racontée, sans tabou, à l’aide d’objets-indices renvoyant à des scènes de sa vie. « Des histoires vraies » selon le titre de son recueil paru chez Actes Sud. Du particulier à l’universel, n’y a-t-il qu’un pas ? Et à quelle place sommes-nous lors de cette visite transgressive ?
On parcourt le récit fragmenté d’un passé, un chat empaillé, une robe de mariée, un magazine télé évoquant sa grand-mère décédée, un bout de matelas brûlé, une veste d’homme avec une cravate, les restes d’une violente dispute…Peut-être pourrions-nous aussi faire un état des lieux de notre vie ? Quels objets émergeraient de cette mémoire sélective, trieuse, voire manipulée ?
Notre intrusion dans l’intimité d’une chambre, l’acte de regarder l’artiste assise dans son lit, à peine dissimulée par ses lunettes noires, entourée du plateau du petit déjeuner, de son ordinateur et de son téléphone, avec lequel elle prend elle-même quelques photos (de qui ? de quoi ? dans quel but ?), interroge : sommes-nous voyeurs ? Qui est regardé ici ? Elle ou nous ? Sommes-nous au théâtre ? Elle semble un objet parmi les autres. Il est plus de midi…Face au lit, une fenêtre ouverte sur le Palais des Papes, une télévision retransmettant le tour de France, un miroir. Ne ressemble-t-elle pas à une malade, une copine peut-être qui nous recevrait dans son lit ? Certains lui demandent un autographe, d’autres lui murmurent quelques mots…Que lui disent-ils ?
Si nos souvenirs ont plutôt la forme d’images, le choix de Sophie Calle d’en meubler un petit musée, de manière concrète, renvoie à un véritable travail d’élaboration et de composition. Nous le visitons comme la maison d’écrivains ou d’artistes – George Sand, Balzac, Proust – ouverte aux visiteurs curieux de découvrir des traces quotidiennes, banales, de ces grands auteurs décédés, dont la présence apparaît « en creux ».
Ici dans la chambre 20, la présence en chair et en os de l’artiste nous rend perplexes et nous gène. Beaucoup la regardent à peine ou furtivement. Elle a changé la donne ! Peut-être le questionnement né de cette performance nous accompagnera-t-il longtemps …
Isabelle Royer
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