Boyd et Bowie partenaires

Wiliam Boyd est aujourd’hui un des plus importants romancier britannique, considéré par The observer ou le New yorker, comme un des vingt écrivains anglo-saxons les plus inventifs de leur temps. Il a écrit, entre autres ouvrages, Un Anglais sous les tropiques, Brazzaville plage, L’après-midi bleu, Comme neige au soleil …
 En 1998, il a publié la biographie d’un peintre, intitulée : Nat Tate, un artiste américain – 1928-1960, accompagnée d’illustrations d’œuvres.

L’enfance de Nat Tate s’est passée dans le New Jersey. Son père s’étant noyé avant même sa naissance, il est élevé par sa mère seule. Il a huit ans quand cette dernière meurt victime elle aussi, d’un accident. Nat est alors adopté par une famille aisée, ce qui lui permettra plus tard d’étudier auprès de Hans Hofmann, artiste d’avant-garde allemand émigré aux Etats-Unis. Vers 1952, il commence à exposer sa peinture expressionniste abstraite à New York. C’est sa famille adoptive qui achète la plupart de ses toiles. Apprécié dans le petit milieu des jeunes artistes new-yorkais de l’époque, il ne perce pourtant pas vraiment auprès du grand public. A la fin des années 50, il voyage en Europe, et reste stupéfait devant la production artistique qu’il découvre. L’œuvre de Georges Braque, en particulier, le bouleverse. A son retour aux Etats-Unis, sous le coup de ce choc artistique, il tente de racheter tous ses tableaux, il veut les retravailler. Finalement, il détruit toutes les peintures qu’il avait pu récupérer. Il sombre dans l’alcool. Le 12 janvier 1960, il se suicide en sautant du ferry de Staten Island. Il a 31 ans. Son corps à jamais disparu dans la baie de New York.

Cette biographie monographie a la particularité d’être le résultat d’un parrainage prestigieux.
En effet si tout le monde connaît David Bowie, tout le monde ne sait pas forcément qu’il était un grand amateur d’art et membre du conseil d’administration de la très respectable revue Modern Painters, pour laquelle il a écrit également des articles critiques.
Dès qu’il a eu connaissance de l’ouvrage que préparait William Boyd, il a décidé de le faire paraître dans sa propre maison d’édition, 21 Publishing , enrichi de photos et des reproductions de quelques-uns des dessins et peintures qui ont échappé à la destruction de la collection de Nat Tate. Enfin, il organise une grande fête à New York pour célébrer la sortie de l’ouvrage, accueilli chez Jeff Koons, entouré de personnalités des milieux de l’art, de critiques, d’écrivains et de journalistes littéraires. Pendant cette soirée très distinguée, David Bowie fait la lecture de quelques extraits du livre. John Richardson, critique d’art, biographe de Picasso, commente l’œuvre du peintre et sa fin malheureuse.

Cette soirée a lieu le 31 mars 1998. Lorsque minuit sonne, ce 1er avril 1998, un soupçon, paraît-il, aurait effleuré certains invités.
Ceux-là auraient eu raison : ce livre était une mystification, une vie d’artiste totalement inventée, écrite par William Boyd, éditée avec la complicité de David Bowie et promue en connaissance de cause par quelques amis. Quatre-vingt cinq pages où se mêlaient de manière convaincante, biographie, photos d’inconnus piochés dans une collection anonyme, cartes postales, dessins et reproductions de tableaux probablement peints par William Boyd lui-même.
Le pot aux roses sera dévoilé quelques jours plus tard par un journaliste anglais qui a repéré que les galeries censées avoir accueilli les expositions de Nat Tate, n’ont jamais existé. Quelques recherches l’ont persuadé qu’il a eu raison de se méfier. David Lister rapporte dans The Independent of London que « certains des plus grands noms du monde de l’art ont été victimes d’un canular littéraire ».
Même si Nat Tate était pour eux un parfait inconnu, personne n’avait avoué ne pas le connaître. Emballement mondain ?  Snobisme éhonté ?  Des figures majeures du milieu de l’art new-yorkais, peintres, critiques, écrivains, n’ont rien vu.
Les médias reprennent alors l’article de Lister et révèlent la supercherie. Cela fait quelques remous dans les milieux de l’art, particulièrement en Angleterre. William Boyd, pourtant, d’une certaine manière, n’avait fait que renouveler la coutume du canular en cours dans les universités britanniques, comme Oxford, où il a fait ses études. Il présente toutefois ses excuses ou peut-être plutôt des justifications. Il dit : « Mon but premier était de démontrer combien une pure fiction peut être puissante et crédible et aussi d’élaborer une sorte de fable moderne sur le monde de l’art. »
De l’autre côté de l’Atlantique, on préfère oublier cette histoire et même feindre que Nat Tate a bien existé. Le pire serait d’avouer que l’on a parlé en connaisseur d’un artiste qui n’existe pas, que l’on s’est extasié devant des toiles peintes par un amateur, que l’on a déploré et commenté le destin terrible d’un génie en écoutant des extraits de l’ouvrage lus par David Bowie lui-même.
Il restait que la soirée avait été très réussie.

La plaisanterie s’arrêtait là ? Vraiment ? Non, pas tout à fait. Alors qu’en Europe, le livre dont l’auteur  était démasqué continuait sa carrière éditoriale, que des documentaires étaient consacrés à l’événement, le meilleur de l’histoire était peut-être à venir.

En 2011, un tableau de Nat Tate, Bridge number 114 (encre et crayon, 21 cm par 15) a été vendu aux enchères, chez Sotheby’s à Londres. Estimé entre 3000 et 5000 livres, il a trouvé preneur pour quelque 7 250 livres, soit 8 500 euros. L’argent a été reversé à une œuvre de charité. Il reste quelque part dix-sept tableaux.

 

 

En 2013, à Potsdam, la Villa Schöningen organisait une exposition d’artistes contemporains aux œuvres provocatrices ou teintées d’impostures, intitulée Réalité et fiction . Nat Tate y figurait. L’argument de cette exposition : « La réalité n’existe que dans notre imagination, nous la fabriquons nous-mêmes. En ce sens, toute construction de la réalité est aussi une fiction. le problème est que les inventions que nous répandons dans la réalité ont un impact sur le monde réel, ce qui peut entraîner des incohérences, des imprévus et des conflits. »

 

Le livre de William Boyd a été réédité plusieurs fois et traduit en plusieurs langues. Et les tableaux sont entrés dans l’histoire de l’art …
Rappelons que le le nom de Nat Tate a été composé à partir de The National Gallery et Tate Gallery

 

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