Dans le cerveau du comédien
Grâce à un dialogue avec des chercheurs et d’autres comédiens, Anouk Grinberg nourrit une riche réflexion sur ce qui permet aux acteurs d’incarner un autre.
Que se passe-t-il dans le cerveau des comédiens lorsqu’ils jouent ? De cette question simple, Anouk Grinberg fait la matière d’une riche réflexion sur l’illusion, telle que nos contemporains la fabriquent. Partant d’une discussion avec le neurologue Lionel Naccache, elle mène l’enquête dans son livre Dans le cerveau des comédiens (Odile Jacob, 2021).(…)
Le livre, qui progresse par un jeu de questions et de réponses alternant les points de vue de comédiens et de neurologues, de psychiatres et d’éthologues, explore ce paradoxe. Anouk Grinberg glane au fil des pages des éléments qu’elle assemble pour démonter les idées reçues et s’approcher au plus près d’une connaissance morcelée, sur ce que nous sommes. « Pour l’entendre [une pièce], il s’agit de faire taire en soi toute supériorité, tout sens critique et de s’abandonner, de se perdre dans la diversion qu’elle apporte et le bonheur qu’elle contient », écrivait ainsi le comédien et metteur en scène Louis Jouvet.
Le rôle des neurones miroirs
Pour expliquer l’empathie mobilisée dans ce travail d’imprégnation, le primatologue et éthologue Franz de Waal se réfère aux neurones miroirs. « Puisque les neurones miroirs ne distinguent pas entre notre comportement et celui des autres, ils permettent à un organisme de se glisser dans la peau d’un autre. Ces neurones fusionnent les individus au niveau corporel (…). Les humains ne décident pas d’être empathiques ; ils le sont, c’est tout. » Les neurosciences permettent aussi de mieux comprendre comment se construisent les fictions jouées par les comédiens. « Notre cerveau ne connaît la vie qu’à travers la représentation qu’on s’en fait, les fictions qu’il se raconte. Ces voix qui parlent en nous, qu’on n’écoute pas toujours, mais qui pourtant règnent sur notre vie mentale, nous relient toutes au monde, mais nous en éloignent aussi », témoigne Lionel Naccache.(…)
Le livre s’achève par une réponse à Diderot qui dans son Paradoxe sur le comédien croyait savoir que « l’extrême sensibilité fait les acteurs médiocres ». « La matière première que nous manipulons est évidemment notre sensibilité. (…) Nous soufflons sur nos émotions comme sur des braises puis nous les combattons. (…) En cela, c’est vrai, nous ne sommes pas dupes de nous-mêmes. Le combat pour et contre l’émotion se passe entre chair et tête », corrige-t-elle, à l’issue de son enquête. Catherine Mary Le Monde
Dans le cerveau des comédiens. Rencontres avec des acteurs et des scientifiques, de Anouk Grinberg (Odile Jacob, 304 pages, 22,90 euros)
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