« C’EST L’HEURE DE ! » de Jocelyn Brudey NOTE DE LECTURE de Damien Charron

Ayant eu la chance de voir deux fois le spectacle « C’est l’heure de ! », écrit et mis en scène par Jocelyn Brudey (avec l’association havraise Quilombo), et d’en lire le texte, encore inédit, je voudrais livrer mes impressions et donner peut-être l’envie aux lecteurs d’aller le voir lors d’une prochaine reprise.

Le titre se donne d’emblée comme une énigme : que signifie cet impératif horaire ? Cependant le sujet du spectacle apparaitra clairement au spectateur : il s’agit d’une défense et illustration de la mémoire de l’esclavage. Au sortir de la représentation, nous ressentons à notre tour, nous spectateurs, cette urgence à nous emparer de cette question.

La pièce prend la forme d’une ample prosopopée : l’auteur donne la parole à une femme africaine qui a sauté volontairement du navire l’emmenant en esclavage, préférant la mort volontaire à la servitude. L’évocation de cette morte, fondée sur un fait historique, fait surgir devant nos yeux diverses situations liées à la traite transatlantique et à ses conséquences humaines et sociales.

Le monologue théâtral est servi par la performance notable de l’actrice Giuseppina Comito. Elle circule au milieu du public, suggérant par sa posture tantôt l’errance et la détresse des captifs, tantôt les circonvolutions de la recherche d’une vérité historique.

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Le texte associe émotion et raisonnement en tissant des liens étroits entre les phénomènes de la mémoire (évocation des personnes et des lieux) et l’insertion des événements historiques concernant l’esclavage dans une histoire mondiale. Au passage est rappelée au travers de l’exemple du jazz l’importance du métissage esthétique en matière d’art. Et l’auteur affirme la nécessité de comprendre le présent à partir de la connaissance précise de cette histoire de l’esclavage pour une prise de position claire et salutaire contre toute forme d’asservissement.

Mais l’écriture, loin d’être didactique, repose sur une forme dramatique qui alterne des refrains, en vers libres, plus lyriques, et des couplets, en prose poétique, oscillant entre récits et invocations, faisant appel à l’imaginaire, à la raison et à la compassion. Je voudrais juste présenter quelques caractères de ce style vivant et imagé.

Les refrains, versifiés, sont marqués par une recherche rythmique. Par exemple, le vers suivant « Et le navire. Et on hurle. Et on résiste. Et l’inconnu. Et l’espoir. » (Refrain 1) se découpe en cinq « parties », comportant un nombre irrégulier de pieds (4 + 3 + 4 + 4 + 3), ce déséquilibre volontaire dynamise l’évocation des captifs emmenés par mer. Quant au vers « Nous nous souvenons de ces phrases. Nos propriétés. Nos partages. Nos crânes » (Refrain 3) il est divisé selon un rythme décroissant (8 + 5 + 3 +2) qui souligne un rétrécissement lors du passage de la parole au corps. Enfin le vers final « Réparer Compenser Equilibrer Pondérer Corriger Chercher » (Refrain 3), sorte de discours de la méthode, se décompose en six « parties » alternant ternaire et binaire (3 + 3 + 4 + 3 + 3 + 2) et traduit une recherche d’équilibre et de stabilité. 

Un jeu constant d’assonances intérieures  souligne la matérialité de la langue. Un exemple frappant au deuxième vers de la pièce, avec quatre mots accumulant la voyelle « a », accompagnée des consonnes « v », ou « r », accentue la triste continuité entre les trois états successifs de l’esclave : « esclaves, cadavres, pâles archives » (Refrain 1). De même, le rapprochement phonétique (paronymie) entre « arrangement » et « argent » (Refrain 1) renforce l’idée que la compromission repose sur un intérêt financier.

Enfin, la richesse lexicale transparait dans l’utilisation d’un vocabulaire recherché,  littéraire, comme « hyalin » (Couplet 1), ou « lycaons » (Couplet 8), voire des néologismes comme « bancalité » (Refrain 1). L’inventivité de Jocelyn Brudey va jusqu’à la création de locutions « sémantiques » en associant avec un tiret deux signifiants pour un seul signifié complexe : «énigme – contente » ? (Couplet 1), « parenthèse-hypothèse », appuyé aussi sur une paronymie (Couplet 6).

Le style expressif et dynamique du texte met en valeur une évocation forte de l’esclavage, bien incarnée par la comédienne Giuseppina Comito. Tout nous invite à nous souvenir de la chaîne infinie des souffrances produites par ces crimes contre l’humanité pour pouvoir tourner cette page de l’histoire dans la dignité, et continuer le combat contre tous les assujettissements. Damien Charron

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