Mon cœur /Pauline Bureau, Cie La Part des Anges
Le Volcan, 1 mars 2017
« Sache que ce cœur exsangue Pourrait un jour s’arrêter… »(1)
Il en fallait du travail et des idées pour aboutir à ce spectacle de 1h50 à partir d’un drame humain entre hôpitaux, expertises médicales et cabinets d’avocats.
Combien de pages ingrates et glacées à déchiffrer, combien de témoignages bouleversants, d’analyses techniques à digérer pour aboutir à ce texte émouvant et à ce spectacle brillant ?
On est partagés entre émotion et admiration…
C’est donc un très beau spectacle qui nous va droit au cœur qu’a écrit et monté Pauline Bureau. A la voir si jeune, si douce en répétition (quelle bonne idée cette invitation du Volcan à venir découvrir le travail de la pièce en train de se faire!) on était loin d’imaginer la puissance du résultat final.
A cause du sujet bien sûr. L’affaire du Mediator. Des vies fracassées par des prescriptions médicales assassines, le combat inégal de victimes démunies contre un système en béton, mais aussi des soutiens fidèles et beaucoup d’amour. Et par-dessus tout une femme exemplaire, Irène Frachon, l’héroïne de Pauline Bureau, la pneumologue qui s’est lancée corps et âme dans un combat acharné contre le coupe-faim du laboratoire Servier (combat encore inabouti aujourd’hui malgré tant d’années de lutte).
Mais le théâtre n’est pas là pour ouvrir des dossiers et nous tenir au courant des injustices ou des scandales de ce monde. Ce n’est ni une revue de presse ni un cours magistral. Il y a d’autres lieux pour ça. Ici, on attend un spectacle. Intelligent certes mais un spectacle. Et bien on a été comblés au-delà de nos espérances!
Car le spectacle est très beau, jouant habilement des lumières, des décors, des couleurs (ah ce sol rouge pétant !), de l’espace (le studio de radio niché au-dessus du plateau qui détourne nos regards des rapides changements de décors à vue). Tout est réglé au cordeau. Les sons se mêlent aux images et les soutiennent, les battements de cœur rendent bouleversants les tracés de l’électrocardiogramme, les aiguilles du tatoueur nous vrillent les oreilles en même temps que la radio lance une bombe : un médicament prescrit pour faire maigrir précipite les patients vers la mort !
La chanson de Dani et d’Etienne Daho se fige : « Sache que ce cœur exsangue/Pourrait un jour s’arrêter »… L’image du papier peint tellement vert, tellement vivant jure alors devant la mort qui gagne du terrain car la vidéo habile et élégante ajoute sans cesse à la montée dramaturgique avec beaucoup d’esprit et de délicatesse. Pas besoin de faire « branché » avec une vidéo envahissante et tape à l’œil ; ce serait faire injure à la douleur des personnages. Pas besoin d’insister, on comprend vite. On a vu Pommerat, on a aimé « Réparer les vivants », on a découvert pour le Festival Terres de Paroles 2017 le texte étonnant de Ian Soliane « Bamako-Paris » (2).
Un sujet poignant, une mise en scène brillante, une superbe maîtrise des images et du son mais aussi des comédiens énergiques et engagés. Marie Nicolle, l’émouvante Claire Tabard, victime emblématique, Nicolas Chupin l’avocat fougueux, acharné à la défendre presque malgré elle, et Catherine Vinatier, une Irène Frachon si tendre mais tellement obstinée à faire éclater la vérité et à défendre les victimes.
Il en fallait du travail pour dénoncer mine de rien une autre tyrannie, celle de la beauté standardisée qui a poussé tant de gens à s’empoisonner sans le savoir. Le flamboyant plaidoyer final de Cathy, la sœur de Claire a ajouté une dernière facette à cette pièce aux langages multiples: des textos à la salle d’op’, du tribunal aux rapports des experts, de l’imbroglio législatif aux tendres mots d’amour on a senti « des boums et des bangs agiter »… nos cœurs transportés !
Christine Baron-Dejours, MCH le 6 mars 2017
-(1) « Comme un boomerang », Serge Gainsbourg
-(2) La pièce (étrange dialogue entre un médecin en pleine autopsie et un clandestin malien) est sélectionnée pour le Prix « Terres de Paroles » qui sera décerné le 24 mars 2017 et où je représenterai le comité de lecture du Havre. Lecture-théâtrale de la pièce le mercredi 19 avril à Duclair.
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