VivaCulture / L’instant philo / Emission du 5 avril 2020 / Thème : La distraction
Un résumé par Léa Beauchamps, élève de classe préparatoire ECS au lycée François 1er du Havre de l’émission animée par Didier Guilliomet,
Dans le contexte actuel, avec la pandémie mondiale, la distraction nous permet de nous détourner de la situation stressante du confinement. En effet, nous avons besoin de nous distraire ou encore d’être distrait. La distraction peut apparaitre sous deux formes : l’une est active et en ce sens la distraction consiste à se distraire c’est-à-dire à se changer les idées, à se divertir. L’autre est à la forme passive : la distraction consiste alors à être distrait. Ces deux formes sont très distinctes :
Dans un premier temps, être distrait c’est être amusé, être diverti par d’autres personnes ou par un évènement drôle.
Dans un autre sens, être distrait c’est un état d’inattention au présent. Ce qui signifie que l’on a été happé par une pensée qui nous rend absent temporairement à ce qui se passe. On peut donc légitimement se poser la question :
Où sommes-nous donc quand nous sommes distraits de cette façon ? Plusieurs réponses : nous sommes dans nos pensées, nos souvenirs, dans nos rêves. Dans tous les cas nous sommes ailleurs.
Cette dernière forme de distraction nous montre que nous sommes capables de nous téléporter en une autre dimension du réel (mais aussi sans doute une autre dimension du temps). Nous sommes donc dotés d’une capacité qui nous permet d’être ailleurs, de nous évader du présent, en bref d’être distrait.
Que pouvons- nous apprendre cet état singulier de distraction ?
Premièrement si nous pouvons nous absenter de cette façon c’est sans doute pour mieux nous rendre présent à ce qui est absent de nos perceptions des choses extérieures, c’est-à-dire pour mieux percevoir nos états d’âme, nos idées, nos souvenirs ou encore nos projets. Pour résumer, la distraction nous permet de mieux explorer nos pensées. Toutes ses réalités internes peuvent, en effet, tant nous occuper que cela nous empêche de nous préoccuper de ce qui nous entoure. C’est pourquoi notre attention peut se détacher du présent pour se tourner vers le domaine de l’intériorité.
Être distrait ce n‘est donc pas du tout se retrouver dans un état d’abrutissement ou de vide complet dans lequel la grande fatigue nous place parfois. Prenons l’exemple de la distraction de Socrate. Ce dernier explique qu’un « démon », de temps en temps, le mettait en arrêt complet. Pour les grecs de l’antiquité, un démon (daemon) est un être supérieur qui n’est pas nécessairement diabolique mais une sorte d’ange gardien dont la fonction est de guider plus que de pervertir. Dans le Banquet de Platon on retrouve une description rapide où Socrate suspend toute attention à ce qui l’entoure pour se plonger dans ses pensées. Dans ce passage il y a une mise entre parenthèse du monde extérieur qui rend possible une bonne exploration du riche contenu de notre intériorité. Cette intériorité est constituée de nos idées mais aussi de nos sentiments, nos décisions et les représentations de notre imagination. Par conséquent, on peut donc conclure qu’il y a un lien très fort entre la distraction et l’imagination qui est la faculté de rendre présent (notamment sous forme d’image) ce qui est absent dans ce qui nous entoure. L’imagination nous rend donc aussi absent au présent puisqu’elle nous transporte dans une autre dimension du monde.
De même, nous pouvons faire défiler en nous l’image d’une chose absente mais qui a existé, il s’agit du souvenir. La mémoire est en ce sens une sorte d’imagination reproductrice. Être distrait consiste donc à explorer notre pensée grâce à l’imagination afin de percevoir tout un monde qui a disparu ou qui n’est pas encore apparu, voire même tout un monde qui n’existera jamais. La distraction nous enseigne donc qu’il y a bien plus de choses dans notre intériorité que nous le croyons.
Références musicale de cette émission.
Jacques Higelin : « Tiens j’ai dit : « Tiens » », chanson tirée de l’album : Crabouif (1971)
Supertramp : “Dreamer” une chanson tirée de l’album : Crime of the century (1974)
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