Que recouvre le terme de « culture » dans l’esprit des Français ?

Jean-Michel Guy décrypte cette étude :

On connaît l’étude du ministère de la Culture et de la Communication sur les pratiques culturelles des Français. Celle-ci est inédite et s’intéresse au sens que le mot « culture » recouvre dans l’esprit des Français. Pourquoi une telle étude ?

Depuis plus de 40 ans, à travers l’étude sur les pratiques culturelles, nous nous sommes exclusivement intéressés aux comportements des Français et non aux significations qu’ils donnent à leur pratique, à l’expérience de lire un livre, de visiter un musée…

Aujourd’hui, le temps est venu de s’intéresser aux représentations qu’ils associent à ces pratiques. Par ailleurs, nous avons toujours eu des doutes sur le sens que les personnes interrogées donnent aux mots qu’on leur pose dans le cadre de l’étude sur les pratiques culturelles. Cette enquête, en effet, est réalisée par questionnaire et ses résultats reposent sur des réponses déclaratives. Nous ne savons donc pas si les gens sont réellement allés au musée ou s’ils ont réellement lu dix livres par an, même si nous pouvons en avoir une petite idée en recoupant les réponses avec d’autres statistiques, comme le nombre de livres publiés ou empruntés. (…)

Pour un Français sur trois, potentiellement, tout est culture

Autant l’étude sur les pratiques culturelles révèle des lignes de fracture au sein de la population, autant celle-ci met au contraire en avant une conception partagée de la culture.

C’est le résultat majeur de cette étude : il y a globalement une représentation commune, « transociale » du mot culture et de la culture dans la population française. En revanche, si l’on examine les résultats de plus près, on s’aperçoit aussi qu’il n’y a pas une, mais au moins cinq acceptions très répandues de la culture qui peuvent se combiner chez un même individu. C’est même la règle générale : la polysémie n’est pas simplement collective, elle est également individuelle. De plus, il faut souvent aussi lui adjoindre une conception tolérante. Tout cela mis bout à bout donne un aspect incroyablement plastique à la notion. (…) 90% des répondants partagent globalement une vision aujourd’hui dominante qui voit dans la culture tantôt un ensemble d’activités ou de domaines, soit l’ensemble de tous les savoirs.

Parmi ces domaines, certains sont attendus, d’autres beaucoup moins. Comment l’expliquez-vous ?

 

L’étude met en évidence cinq registres importants : en premier lieu, le savoir et la connaissance, en second lieu, un ensemble d’activités correspondant aux domaines de compétences du ministère de la Culture et de la Communication ou au contenu des pages culture dans les médias.

Viennent ensuite trois autres registres moins répandus mais concernant au minimum 15% des Français : la culture dans son acception agricole, la culture dans son approche anthropologique – c’est la culture des autres ou celle qui s’exprime par des habitudes culinaires et vestimentaires, par des croyances religieuses, des rites, des fêtes –, enfin, la culture perçue comme un ensemble de valeurs : la beauté, la curiosité, la tolérance, la non-violence… Chaque personne entre dans la culture avec l’une ou l’autre de ces cinq clés. (…)

Parmi les registres inattendus, on trouve la cuisine, la science, les voyages…

Spontanément, les gens ne les mentionnent pas. Mais dès que nous leur demandons à l’aide d’une question fermée si la cuisine, les voyages ou la science font partie de la culture, les résultats sont alors franchement surprenants : trois Français sur quatre considèrent que la science est dans tous les cas de la culture, ils la relient à leur définition spontanée de la culture comme savoir et comme connaissance. Quant aux voyages, ils sont plébiscités comme absolument culturels par 75 % des Français. C’est selon moi la plus grande surprise de cette enquête. Les voyages synthétisent en réalité plusieurs définitions possibles de la culture : on apprend, on découvre des choses quelles qu’elles soient, on peut aussi choisir d’aller quelque part en raison de la réputation dont jouit une manifestation culturelle…d’une manière générale, les voyages sont associés à un écart par rapport au cadre de référence habituel et c’est ce trait que l’on associe à la culture.

Autre trait frappant, ce sont les lignes de rejet très claires, le jeu vidéo par exemple se trouve exclu du champ culturel…

(…) On a ce paradoxe extraordinaire : une chose n’est pas culturelle, comme on a pu le penser autrefois, parce qu’elle demande un effort d’accès, d’analyse, d’interprétation qui ne serait pas donné à tout le monde. Non, elle peut tout à fait demander un effort mais les gens souhaitent que les médiateurs et les diffuseurs de contenus culturels leur en facilitent l’accès. Il existe une forme de plébiscite sur les manières ludiques et distrayantes d’amener la culture.

La médiation culturelle a donc de beaux jours devant elle…

Absolument, et particulièrement l’éducation artistique et culturelle, qui est plébiscitée comme l’une des politiques ministérielles les plus évidentes et consensuelles. Ce résultat sur la médiation culturelle ne va pas sans une certaine frustration. Les gens aujourd’hui ne perçoivent plus la culture comme on suppose qu’ils la voyaient autrefois – quelque chose de très intimidant, réservé à certaines personnes.

Ils en ont une image très positive. Néanmoins, les Français ont parfaitement conscience des inégalités d’accès face au savoir et à la connaissance. C’est probablement la raison pour laquelle une très grande majorité d’entre eux plébiscitent toutes les actions publiques qui facilitent l’accès à la culture et en particulier tout ce qui est fait en direction des enfants. Réussissons l’éducation artistique et culturelle pour les jeunes générations avant de passer à la population toute entière.

L’étude met en évidence quatre visions de la culture, le libéralisme culturel, l’éclectisme culturel, le classicisme et l’attitude contestataire.

Le « potentiellement tout est culture » est devenu une nouvelle norme : un Français sur trois considère que font partie de la culture des activités que l’on eût tenues naguère pour extrêmement éloignées de ce champ, le jardinage, le sport, la télévision, la mode…

On a aussi un groupe d’ « éclectiques-critiques » pour qui relève de la culture dans tous les cas un ensemble de contenus artistiques étendus à des genres qu’autrefois on ne considérait pas comme tels. (…)

Par ailleurs, si la hiérarchie entre les arts ou entre les domaines n’est plus aussi stable qu’avant, c’est qu’elle est associée à un contexte social où domine l’individualisme. Celui-ci génère une tolérance à l’autre qui combinée avec la polysémie naturelle du mot culture, aboutit à ce contour flou, de plus en plus mobile et vaste, mais qui néanmoins n’est pas un grand fourre-tout. Il y a encore des barrières solides, variables selon les gens, qui permettent de distinguer la culture du divertissement, ce qui est ancien de ce qui ne l’est pas, ce qui a subi ou non l’épreuve du temps… Contrairement à ce que l’on pourrait penser, les personnes qui défendent une vision de la culture assimilée aux beaux-arts, à la littérature, ne sont pas sur-diplômées, mais au contraire des gens peu diplômés qui ont une vision légitimiste, à l’ancienne et scolaire. (…)

Le périmètre des certaines institutions ne doit-il pas être revu pour être en phase avec ces différentes acceptions de la culture ?

Le ministère de la Culture et de la Communication s’occupe depuis longtemps de culture scientifique et technique ou de gastronomie, il soutient les initiatives en faveur du dialogue interculturel, il a une politique sociale… mais le poids du passé fait que l’on associe spontanément la culture aux livres, aux musées, à l’opéra, aux monuments. On ne pense pas spontanément à ce que le ministère fait dans des domaines qui naguère étaient éloignés de la culture. Quand il soutient le secteur des jeux vidéo par exemple, cela ne permet pas de légitimer d’un coup tout le secteur comme culturel.(…)

Étude : les représentations de la culture dans la population française

                   

Que recouvre le terme de « culture » dans l’esprit des Français, quelles sont les représentations spontanées qui lui sont associées et à quels registres renvoient-elles ?

Pour le savoir, et dans la perspective de la reconduite de l’enquête décennale sur les pratiques culturelles des Français réalisée depuis 1970 par le ministère de la Culture et de la Communication, le Département des études, de la prospective et des statistiques a mené, auprès d’un échantillon de 1 500 personnes représentatives de la population française, une étude sur les représentations et les valeurs associées à la culture.

Quatre grands types de conception de la culture se dégagent :

  • le libéralisme culturel (tout est culturel),
  • l’éclectisme critique (tout est potentiellement culturel, selon certains critères),
  • le classicisme (le champ culturel n’est pas extensible)
  • et l’attitude contestataire (la vraie culture est ailleurs).

« Les représentations de la culture dans la population française », par Jean-Michel Guy, collection « Culture & Études »,département des études, de la prospective et des statistiques, ministère de la Culture et de la Communication, contact.deps@culture.gouv.fr

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