« Quand on lit, on fait tout de même un peu plus que lire » Isabelle Huppert

On se souvient de notre mère nous lisant des histoires. Les lectures à voix haute ravivent ce plaisir de l’enfance et les seuls bénéfices économiques n’expliquent pas leur succès. L’exercice est moins facile qu’il n’y parait. Avoir le texte en bouche, proférer la parole, éclairer le texte, servir ou non la littérature, voici les conditions du plaisir du spectateur.

Cette année encore, le Festival Le goût des autres nous a offert quelques rencontres-lectures. Pourtant après les attentats du mois de janvier contre Charlie et l’Hyper Cacher, le thème choisi cette année, l’humour, s’avérait déplacé. Heureusement l’écrivain Jonathan Coe a très simplement trouvé des mots introductifs pour légitimer son goût et sa croyance « naïve » dans la valeur du rire, des rires.

Le choix de la lecture de Desproges « Chroniques de la haine ordinaire » était étonnamment pertinent. Les « Chroniques » étaient lues alternativement par les humoristes et comédiens, François Rollin et Redouanne Harjane. Et comme nous avons ri ! Aujourd’hui encore, les aphorismes de Desproges n’ont perdu ni leur actualité, ni leur intelligence, ni leur force comique. Dans son Réquisitoire du Tribunal des Flagrants délires, contre Jean-Marie Le Pen, on se souvient de sa tirade : « Premièrement, peut-on rire de tout ? Deuxièmement, peut-on rire avec tout le monde ? À la première question, je répondrai oui sans hésiter (…)
S’il est vrai que l’humour est la politesse du désespoir, s’il est vrai que le rire, sacrilège blasphématoire que les bigots de toutes les chapelles taxent de vulgarité et de mauvais goût, s’il est vrai que ce rire-là peut parfois désacraliser la bêtise, exorciser les chagrins véritables et fustiger les angoisses mortelles, alors oui, on peut rire de tout, on doit rire de tout.»

On s’y aperçoit que la langue de Desproges est travaillée, son vocabulaire parfois savant, sa phrase longue, sa syntaxe complexe. C’est le contraste entre son style et sa décontraction, son naturel sur scène qui suscite aussi le rire ! C’est dire que lire un texte de Desproges ne s’improvise pas. Rédouanne Harjane, lecteur médiatique, s’y est cassé les dents : découverte en direct du texte, méconnaissance de la ponctuation, dramatisation non seulement superflue mais préjudiciable…Les mots et les phrases perdaient leur sens, ce qu’un travail préalable aurait évité.

Quand Christine Labourdette lit des extraits évoquant l’esclavage et les abolitions à la médiathèque d’Honfleur, le 31 janvier, nous sommes frappés par son choix de textes originaux, peu entendus, et une impression de naturel qui traduit sa familiarité avec eux, née d’une préparation assidue.

Même si face à nous se dresse un comédien, ce n’est pas du théâtre. Sa posture, ses regards, le livre ou les feuilles qu’il tient à la main ou lit sur un pupitre, un micro parfois, créent un rapport inédit. Contrairement à la scène de théâtre, il n’y a pas de 4ème mur. « J’aime bien aller de la lecture à l’adresse, explique Isabelle Huppert : c’est dans ce va-et-vient que se déploie l’art de la lecture. Dès que le regard se pose sur quelqu’un, on peut créer de l’imaginaire, du drame à l’infini. »

Proférer, c’est littéralement, porter (sa voix) en avant de soi. Denis Lavant a marqué nos mémoires d’un cri quand il a lu en 2013, au Festival Le goût des autres, le Discours sur le colonialisme d’Aimé Césaire, le Code noir, des lettres de négociants havrais. On lui sait gré d’avoir imprimé ces textes forts dans nos souvenirs. L’intensité, la puissance de sa voix, ses nuances, ses modulations ont donné vie aux textes. Le lecteur est un passeur, de mots, d’émotions, d’intelligence…

En fait, on ne peut pas s’improviser lecteur : lire à voix haute suppose d’abord une lecture silencieuse compréhensive. Agnès Desarthe témoigne : « Quand Gérard Desarthe lit mes nouvelles,  j’ai l’impression qu’il éclaire le texte de l’intérieur. Il en a une compréhension si fine que l’effet produit est celui d’une loupe, très légère. »

Isabelle Royer

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