« L’instant philo » La sagesse et le sens des limites: 1. « Le moment grec »

                                                        Emission du dimanche 03 octobre 2021                                

Peut être une représentation artistique de 1 personne et texte qui dit ’Viva culture sur Quest track radio ouest-track.com L'émission MCH 11h/11h30 Tous les dimanches WAK RADIO KAyLY t:e PAUL AUSTER Travels mn the Scriptorium L'instant philo T 10mn chronique Paul Auster Dans le scriptorium par Catherine Désormière Lieux dits Par Annie Drogou CD La sagesse et le sens des limites Par Didier Guilliomet ArtCafé Café du verre à la culture 3/10/2021’

  1. Pourquoi Pythagore a refusé l’honneur d’être placé parmi les sages de la Grèce
  2. Pythagore et la philosophie

On connaît Pythagore pour son fameux théorème et ses contributions aux mathématiques. Mais on ignore souvent qu’il a été aussi un penseur dont la doctrine a inspiré bien des idéalistes – à commencer par Platon. Diverses sources de l’antiquité[i] rapportent que c’est lui également qui auraient utilisé en premier les termes de « philosophie » et « philosophe ». Qu’est-ce qui a poussé Pythagore à créer ces termes voués à bel avenir ?

  1. Les sages de la Grèce

La civilisation grecque de l’antiquité aimait honorer les individus les plus doués dans tous les domaines : des compétitions étaient ainsi organisées pour donner occasion aux meilleurs de se surpasser. Les jeux Olympiques permettaient aux athlètes de briller de tous leurs feux. Les champs de bataille donnaient occasion à certains guerriers de montrer un courage récompensé par divers honneurs. Grâce aux concours de tragédie – les dithyrambes de Dionysos –les noms de quelques illustres vainqueurs – Eschyle, Sophocle et Euripide – sont  arrivés jusqu’à nous. Les anciens grecs avaient aussi le souci de désigner officiellement des sages qui pouvaient servir de modèle aux autres. Un jour, on s’adressa à Pythagore pour le faire entrer dans le cercle restreint des « sages de la Grèce ». Il réunissait en effet les qualités du sage – du sophos. Son savoir était exceptionnel– et pas seulement en mathématiques. Son attitude morale pouvait servir d’exemple. Enfin, son habileté – notamment dans les affaires humaines – ne manquait pas d’être saluée de tous. Pourtant, à la surprise générale, Pythagore a d’abord repoussé cette offre honorifique.

  1. Pourquoi Pythagore refuse d’être nommé « sage »

Pour quelles raisons ? Pythagore s’inscrivait dans la tradition qui valorise la mesure en toute chose. Pour les anciens grecs,  il  faut éviter absolument la démesure –  l’hubris – qui donne le sentiment à l’homme d’être tout puissant et le conduit à franchir la ligne de partage entre l’humain et le divin. Une chose est la perfection des Dieux, autre chose l’imperfection des hommes. Or la sagesse, figure de l’excellence, semble bien être un attribut d’un être parfaitement savant, impeccable dans son attitude et d’une habileté sans failles – bref, elle ne semble pouvoir être attribuée qu’aux Dieux. Les hommes avec tous leurs défauts et limites ne peuvent dès lors se dire sages en ce sens qu’avec beaucoup d’imprudence et d’impudence. Accepter d’être déclaré sage de façon irréfléchie montrerait qu’on ne l’est pas du tout. C’est pourquoi Pythagore refuse le titre prestigieux de sages de la Grèce. Il semble même en contester la légitimité. Néanmoins, par souci d’apaisement, il suggère un changement de terminologie qui va permettre de trouver un terrain d’entente. Plutôt que d’être nommé sophos, Pythagore propose une appellation plus modeste : il n’est pas un sage mais quelqu’un qui aime la sagesse : un philosophos. Un philosophe

  1. Philosophie, limites humaines et sagesse
  2. Modestie de la philosophie

Le terme « philosophie » signifie « l’amour de la sagesse ».  Si on cultive l’amour de la sagesse, c’est qu’elle nous semble éminemment aimable mais qu’en même temps, nous savons qu’elle nous échappe toujours du fait de notre imperfection. « Nobody is perfect ».  Le philosophe se différencie ainsi toujours de celui qui est arrivé au dernier degré de la sagesse. C’est dans cette perspective, que, plus tard, Platon soulignera[ii] « Parmi les Dieux, il n’y en a aucun qui s’emploie à philosopher, aucun qui ait envie de devenir sage, car il l’est ; ne s’emploie pas à philosopher quiconque est d’autre est sage. » La philosophie est une pratique humaine qui témoigne d’un défaut de sagesse et de savoir.

2) Sagesse humaine et sagesse divine.

Ceux qui voulaient placer Pythagore parmi les sages de la Grèce finissent par reconnaître qu’en précisant pourquoi il ne voulait pas de cet honneur, cet illustre penseur a fait preuve de sagesse humaine. Cette dernière consiste à rompre avec toute cette arrogance qui tend à nous conférer une puissance de penser et d’agir comparable à celle des Dieux. Pythagore invite à sortir du préjugé selon lequel la sagesse n’aurait qu’une figure : celle de la perfection. Il nous fait comprendre que le début de la sagesse humaine, au contraire, est de prendre conscience de notre imperfection et des limites intrinsèques à notre condition. Une chose est la parfaite sagesse divine qui, bien qu’inaccessible, nous sert de modèle pour continuer à progresser et même d’astre pour éclairer le sens de notre condition imparfaite mais perfectible. Autre chose est la sagesse humaine, toute pétrie du sens de nos limites et de notre nécessaire modestie.

3) Savoir, limite de la science et ignorance

Ce n’est sans doute pas un hasard si un des penseurs les plus savants de cette époque met l’accent sur l’étendue de notre ignorance. Plus on en sait et plus on comprend que des choses nous échappent. Plus on progresse dans la science, plus apparaît l’étendue de notre ignorance. A l’inverse, on constate souvent que moins un individu est savant, plus il croit que sa science est étendue. C’est malheureusement logique ! En effet, si quelqu’un est complétement ignorant, il ignore aussi qu’il est ignorant. Mais, quand on ne sait pas qu’on ne sait pas, on croit savoir qu’on est savant. L’ignorance la plus abyssale se combine ainsi avec la certitude mal fondée d’être très savant. Plusieurs expressions désignent ce fâcheux mécanisme psychologique. [iii]On parle de « la bêtise contente d’elle-même » qui peut devenir un objet de plaisanterie, plus ou moins de bon goût, dans ces dîners dans lesquels on se moque parfois cruellement de ceux qu’on désigne souvent en usant d’un terme peu gratifiant. On parle aussi de la fatuité : le fait être fier quand on affirme des choses absolument erronées. En Anglais, « fat » d’ailleurs désigne celui qui est gros et lourd. De fait, l’ignorant est souvent stupéfiant dans sa balourdise d’une grande suffisance : c’est alors un cuistre. Etienne Klein, physicien et philosophe, dans une de ces émissions a rappelé un autre terme, plus savant, qui désigne le fait de parler avec assurance de ce que l’on ne connaît pas : l’ultracrépidarianisme. Le terme vient de la locution latine : « Sutor, ne supra crepidam » littéralement : « cordonnier, pas plus haut que ta sandale ». Traduction : « ne sors pas de ton champ de compétence, cela t’évitera de dire des inepties ». En effet, la tendance à se croire compétent dans des sujets qu’on ne maitrise pas est courante dans les conversations de café du commerce, dans les Talk-shows et surtout sur les réseaux sociaux. Dans tous les cas, cela rend difficile une vraie réflexion et c’est source de préjugés.

L’ignorant qui se croit savant peut donc amuser, énerver et même faire peur – notamment  quand faisant de la politique, il a un grand pouvoir – toutefois, il y a chez lui une manière d’être à laquelle nous n’échapperons pas, si nous ne faisons pas attention. Le ridicule ne tue pas mais il est sage de mettre en garde contre cette dérive plus courante qu’on veut bien se l’avouer qui consiste à dépasser les limites de son savoir et à manquer de mesure et de retenue dans ses discours.

  • « Tout ce que je sais, c’est que je ne sais rien »
  1. Socrate, digne successeur de Pythagore.

Si c’est Pythagore visiblement qui a créé l’expression « philosophie », Socrate est reconnu comme le premier à avoir vraiment fixé les méthodes et l’esprit philosophique. Au demeurant, Socrate s’inscrit dans la continuité de l’état d’esprit initié par Pythagore : il se présentait, effet, modestement comme un maître d’abord conscient de son ignorance. Il aimait à répéter « Tout ce que je sais, c’est que je ne sais rien ». Et cette attitude lui a valu, à son tour, d’être désigné comme le plus sage des Grecs par la Pythie de Delphes.

  1. Modestie et ambition de la philosophie

Précisons qu’on ne peut en rester à l’interprétation trop unilatérale et négative selon laquelle il faudrait, pour être un sage philosophe, surtout voir ces imperfections et savoir s’auto-flageller dès qu’on tombe dans la démesure parce qu’on dépasse ses limites. La sagesse humaine serait assez dérisoire sans son versant positif et créatif. C’est que la modestie et le sens des limites dans cette sagesse à mesure humaine qu’est la philosophie font le lit d’une vraie ambition. Savoir qu’on ne sait rien, prendre conscience de notre ignorance n’est en effet pas sans conséquences importantes. Par exemple, un candidat à un examen peut se rendre compte qu’il va complètement sécher car il n’a aucune connaissance pour répondre aux questions posées. Cette prise de conscience ne lui permettra certes pas d’échapper à une très mauvaise note mais le choc qu’elle produit, peut préparer un avenir meilleur. L’étudiant conscient de ses lacunes, pourra ainsi prendre ses dispositions pour mieux apprendre sa leçon la fois suivante. Savoir qu’on est ignorant donne ainsi  le désir de ne plus l’être et par conséquent de nous mettre dans une disposition d’esprit où l’on va rechercher à améliorer son savoir et à chercher de nouveaux moyens pour construire un autre chemin. Prendre conscience de ses limites, c’est se mettre dans la situation de les repousser. La modestie philosophique est le creuset dans lequel se forme l’ambition d’être plus savant : elle fait naître une féconde curiosité dont Aristote fait le point de départ de toute science. C’est quand on saisit que les choses nous échappent qu’apparaît le désir de rechercher de nouveaux chemins pour vivre plus sagement. Voilà ce qui explique que la philosophie a été le nom donnée pendant longtemps, à toute science et à toute recherche de la vérité. Newton, au dix-huitième siècle, présente encore sa physique en lui donnant le nom de « philosophie naturelle »

  1. Une prise de conscience positive de son ignorance

Il y a encore beaucoup à tirer du versant stimulant de cette sagesse à visage humain, surtout au moment où tout indique que notre sentiment de toute puissance technologique et notre système de développement économique nous conduisent, si on ne fait rien, à des catastrophes. Car la sagesse ne consiste pas à se complaire dans une lucidité décourageante sans rien faire face à notre impuissance actuelle. Les nouveaux défis exigent une sagesse qui analyse de façon critique la conception visiblement erronée que nous avons de notre rapport à notre environnement, une sagesse qui, forte du constat de nos erreurs et de nos insuffisances, recherche et produise de nouveaux savoirs, de nouvelles techniques mais aussi de nouvelles manières de vivre. C’est ce que nous verrons dans la prochaine émission prévue le 31 octobre où nous examinerons dans quelle mesure la conscience de nos limites et de notre ignorance peut changer notre état d’esprit, stimuler la recherche et permettre ainsi à l’humanité de tenter de relever des défis inédits face auxquels tout ce que nous savons et avons l’habitude de faire semble, pour l’heure, assez peu efficace.

Références musicales de cette émission

[i]  Notamment Cicéron et un disciple de Platon nommé Héraclite de Pont

[ii] Dans Le Banquet en 204 a

[iii] Ce qu’il y a de précisément fâcheux dans l’ignorance, c’est que quelqu’un qui n’est pas un homme accompli et qui n’est pas non plus intelligent, se figure l’être dans la mesure voulue, c’est que celui qui ne croit pas être dépourvu n’a point envie de ce dont il ne croit pas avoir besoin d’être pourvu. » Platon : Le Banquet, 200 a.

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