Le pouvoir du théâtre contre l’ignominie

L’ILE D’OR d’ARIANE MNOUCHKINE ET LE THEATRE DU SOLEIL, à la CARTOUCHERIE

Nous sommes peut-être tous des Cornélia, malade et alitée, affaiblie et parfois criant de désespoir et de révolte devant les douleurs du monde. Dans la pièce d’Ariane Mnouchkine, Cornélia possède une grande volonté de créer, en imaginant, grâce à des rêves, une pièce de théâtre, miroir de ses angoisses : c’est la création de ce spectacle qui la sauve. Et nous avec…

Dès le début, le propos est clair : l’île est menacée, convoitée par un trio d’hommes d’affaires cupides qui préfèrent des hôtels de luxe et un casino, plus rentables, à un festival de théâtre. Notre monde est d’emblée soumis à un choix radical : l’or des capitalistes, ou l’or de l’art et de la culture partagée. Pour la maire, Yamamura Mayumi et ses amis,  pas d’hésitation : ils s’entêtent, contre vents et marées.

Malin prétexte à un défilé de troupes du monde entier. La pièce embrasse à bras le corps les problèmes politiques, écologiques, sociaux, économiques… Comme Cornélia, nous avons envie de hurler de peine et d’impuissance devant le chaos du monde : les noms des autocrates défilent, cités ouvertement,  c’est une succession de droits humains bafoués, de tragédies de toutes sortes, la terreur des afghans, les révoltes pro-démocratie, le conflit israélo-arabe, la censure, l’homophobie…. Comme une fin de la civilisation.

Pourtant nous passons de l’effroi au rire, de la surprise à l’émotion, du chagrin à la consolation.

Car toujours la question est là : qu’est-ce que le théâtre ? Peut-il montrer le monde, avec ses pauvres moyens ? La réponse est oui. C’est le théâtre qui nous donne des armes. Il est joyeux et nous transmet une énergie que l’épidémie a diminuée.

On est « au Japon », « presqu’au Japon », et on parle « presque japonais », s’émerveille en riant Cornélia. Nous sommes loin du réalisme et de la culture du « faire-vrai » cher à certains. Nous voyons les manipulateurs. Les illusionnistes dévoilent leurs secrets. Les comédiens sont masqués comme nous, les traits effacés. Le parapluie à neige affiche sa beauté. Même la nudité est « représentée » grâce à des combinaisons couleur chair ! Et ces inventions sont pleines d’humour et de poésie.

Nous éprouvons une authentique jubilation, celle de la représentation.

Dès l’entrée dans la salle, nous découvrons un plateau vaste et beau : au fond, de gigantesques fenêtres  et le défilé de magnifiques toiles japonaises, un plafond bleu. Le ballet des changements à vue des décors montés sur roulettes, la succession de leurs éléments plus ingénieux les uns que les autres : bains publics, mer déchainée ou calme, cerisiers en fleurs, yacht, dromadaire, hélicoptère ( !) nous emportent…

Pour affronter l’ignominie, les artistes ont ce pouvoir : ils répondent à la destruction par l’art précis du théâtre : des techniques théâtrales (les marionnettes, le gros plan en vidéo d’une vieille mère isolée en Ehpad, la comédie musicale, la caricature, le conte, la lecture de poèmes…), des questionnements de travail sur la qualité de leur jeu, le rapport au texte, des héritages (le Living Theater, Tchekhov…). La musique, en direct, jouée par Jean-Jacques Lemêtre et ses complices, rythme les séquences.                                                                                            On entend beaucoup de langues. Cette richesse interculturelle est une force, elle l’emporte sur l’impuissance des larmes et de la pitié.

Les moments d’émotion, superbes, ponctuent le spectacle : la chanson des retrouvailles We’ll meet again, distillant l’espoir, le retour des grues, déesses géantes, porte-bonheur, la danse des éventails finale, tous les acteurs face à nous. Et l’émerveillement des valeureux taikos, grands tambours japonais frappés avec détermination par des musiciennes résolues et joyeuses, nous accompagne pour le départ, retour au monde réel face auquel la magie du Théâtre du soleil nous a revigorés.

Isabelle Royer, avec les participantes à L’Apéro des spectateurs le 20 novembre 2021, au bar Le Plan B, Michèle Ayral, Catherine Cadillac, Catherine Désormière, Annette Maignan.

PHOTO « L’Ile d’or », création collective dirigée par Ariane Mnouchkine, le 5 novembre 2021, au Théâtre du Soleil à la Cartoucherie de Vincennes (Paris 12e).

PHOTO : JLD

L'Ile d'or, création collective du Théâtre du soleil | MCH

 

 

 

 

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