Le déconfinement signe le retour à la “vie normale”, avec ses obligations de toutes sortes

J’veux pas y aller…”

Quoi, déjà ?! On s’était à peine habitués, et voilà que ce confinement s’achève, presque sans crier gare. Or le retour au train-train quotidien n’a rien d’une évidence. C’est du moins ce qui ressort du maigre échantillon de la population française que j’ai croisé ce weekend, à savoir : un enfant de 8 ans, un agent immobilier et un chauffeur Uber.

“J’veux pas y aller”, maugrée le premier lorsque je lui demande s’il est content de retourner à l’école. J’avoue que je bouderais bien la rentrée, moi aussi. Disons que je préfèrerais boulotter des gaufrettes devant des jeux vidéo que de m’entasser avec mes clones masqués dans un métro bondé. Pour ma défense, il semble que nous soyons nombreux, nous autres les Bartleby du déconfinement : selon les derniers sondages (menés par Deskeo, loueur de bureaux flexibles, et l’Ifop pour BNP-Paribas Real Estate), huit Français sur dix sont inquiets à l’idée de retourner au bureau, et ils sont autant à vouloir une mise en place massive du télétravail. Pour ceux qui reprennent en ce 11 mai, ces derniers jours avaient le goût d’un dimanche soir ou d’une fin de vacances, qu’on vit avec la boule au ventre et l’impression de ne pas avoir suffisamment profité de la trêve. À croire que la libération tant attendue n’en est pas une !(….)

Le déconfinement signe le retour à la “vie normale”, avec ses obligations de toutes sortes : prévoir les vacances en famille, acheter une tarte aux fraises pour le déjeuner chez les Dupont, choisir des sandales chic et confortables pour les apéros d’été… Avec l’épidémie, cette pression était retombée comme un soufflé, nous laissant ébahis devant la facilité que nous avions désormais à décommander le superflu. Soyons honnêtes : la vie sociale, c’est une plaie ! Que vaut la liberté de mouvement si l’on ne choisit pas ce qu’on fait de son temps ? Le confinement nous aura fait réaliser ceci : pire que l’enfermement, il y a l’aliénation, ce besoin qu’on a de correspondre aux attentes d’autrui en toutes circonstances. D’où notre réticence à reprendre du service dans le monde réel…

Si, comme moi, vous renâclez à sortir de cet état de grâce, sachez que vous pouvez réitérer l’expérience à tout moment. Dans son roman Un homme qui dort, Georges Perec déroule le journal d’un jeune homme qui décide de se couper du monde – une sorte d’autoconfiné avant l’heure. Pris dans le “cercle enchanté de la solitude”, il traîne dans sa chambre, puis dans les rues en évitant tout contact avec les autres. “Tu dois te déshabituer de tout : d’aller à la rencontre de ceux que si longtemps tu as côtoyés, […] de traîner dans la complicité fade des amitiés qui n’en finissent pas de se survivre”, se dit le narrateur. Un sacerdoce qui lui donne un sentiment de puissance inégalé : seul, il se sent “maître du temps, maître du monde”.

Spoiler : le confiné de Perec a beau avoir choisi son isolement, il finit par s’en lasser. Le temps fait son effet, et la vie reprend malgré lui. Anne Sophie Moreau Philosophie magazine

https://www.philomag.com/carnets-de-la-drole-de-guerre-par-philosophie-magazine-42732

Photo Darius Bashar /unsplash

 

 

 

 

 

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