« La damnation », de Faust d’Hector Berlioz
Opéra de Rouen
Le mythe de Faust est sans doute plus complexe qu’il n’y paraît. Frédéric Roels qui signe la mise en scène, avec l’Orchestre de l’Opéra de Rouen, le Chœur Accentus et le Ballet de l’Opéra-théâtre de Limoges, privilégie une vision métaphysique, que le romantisme de Berlioz autorise.
En effet, il serait réducteur de limiter cette légende dramatique en quatre actes de 1846, à une histoire d’amour, serait-elle explicite dans les deux amants vêtus de blanc qui concentrent nos regards dans la dernière partie de cet opéra..
Faust est une figure du savant, hétérodoxe dans la chrétienté médiévale de l’Inquisition, admiré à la Renaissance. Mais il est aussi une incarnation romantique de la condition humaine. Goethe en a fait une figure du Sturm und Drang. Berlioz s’est dit obsédé par ce personnage. Il s’inspire de la traduction de Nerval et il rédige lui-même plusieurs parties.
Que voyons-nous ? Le décor est grandiose. Un immense astrolabe conçu par le scénographe Bruno de Lavenère nous renvoie à la détermination de la position des astres, et à la répartition des étoiles en signes du zodiaque. A quelles influences est soumis le destin de Faust ? Ce plan circulaire qui s’incline et qui tourne, significativement éclairé, rouge, blanc, bleu, semble une métaphore du temps inexorable qui passe, celui que Baudelaire nomme « l’horrible fardeau du temps », de la fragilité de l’homme – montant ou descendant la pente tel Sisyphe – métaphore aussi de l’enfermement : seuls Faust et Margarita, sont prisonniers de ce cercle où Méphistophélès mène la danse avec ses esprits diaboliques.
La douceur du printemps, la gaieté ou la piété des paysans cèdent le pas devant l’amertume d’un Faust aux yeux aveuglés par un bandeau noir, savant insatisfait, assoiffé d’infini. Comme le poète frappé par l’Ennui, Faust est celui qui s’interroge : « Où trouver ce qui manque à ma vie? Je chercherais en vain, tout fuit mon âpre envie ! »
Ce désir que rien ne peut combler, le diable lui en promet satisfaction : « Je te donnerai tout, le bonheur, le plaisir / Tout ce que peut rêver le plus ardent désir! »
Le piège de l’opéra était sans doute d’un déséquilibre entre les différents éléments. Or dans la mise en scène de Frédéric Roels, l’alliance des voix du chœur incarnant paysans, étudiants, soldats, démons « aussi nombreux que possible » demande Berlioz, avec le « troupeau de démons vicieux », les danseurs « follets » au pas cadencé dans la Marche hongroise ou drôles ou sensuels, et la force des clarinettes, bassons, cors, trompettes, trombones, tuba, percussions, violoncelles, flûtes, hautbois, entrainés par Nicolas Krüger…tout concourt, d’une même puissance, à transporter le spectateur.
Que Faust dédaigne les plaisirs grossiers ou immédiats, qu’il se désole de son savoir incomplet et source de déception, que la foi ne puisse réconforter son cœur, il semble représenter la frustration. L’intelligence de Berlioz est de jouer des désirs exacerbés de Faust et des attentes déçues de Margarita pour faire de Méphistophélès l’incarnation illusoire de la satisfaction.
Ah ! Son cri (d’une voix tonnante) ! « Cohortes infernales! Sonnez, sonnez vos trompes triomphales, Il est à nous! ».
Toute la fin de la mise en scène est une gageure : la course sur des chevaux noirs est représentée par un vol circulaire de Faust entravé et haletant. Pour des yeux cinéphiles, le pari est audacieux ! Passé le premier étonnement, on se surprend à être emporté par les « Hop ! Hop ! », la voix de baryton-basse du jamaïcain Sir Willard White et « le chœur en langue infernale » inventée par l’auteur !
Toute la fantasmagorie du romantisme noir et des romans fantastiques retentit en écho aux terreurs intemporelles des « monstre hideux en hurlant » ou de « l’essaim de grands oiseaux de nuit! »
Mais si l’Ennui de Faust rejoint l’angoisse de Baudelaire « lassé de tout même de l’espérance », tenté par l’ivresse « grossière, poétique ou spirituelle », si le savant est aussi un « esclave martyrisé du temps », Berlioz crée un opéra d’une puissance telle qu’elle sonne comme une gloire !
Isabelle Royer
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