La notion de « droits culturels » est de plus en plus présente dans les débats au sein du secteur culturel. Ils sont envisagés par beaucoup comme étant au coeur des enjeux et des processus de mutation du domaine de la culture. Mais ils font polémique, leur définition même ne fait pas consensus, ni leurs modalités de mise en oeuvre. A mon sens, les droits culturels visent à mettre en évidence et formaliser, pour pouvoir les rendre opérants, les principes d’une « démocratie culturelle ».
De mon point de vue, qui est celui d’un praticien/chercheur dans le champ culturel, les droits culturels sont avant tout une pratique, un exercice de la démocratie dans les méthodes mêmes d’organisation du travail, du rapport à l’autre et de la place de chacun.e, dans les choix de programmation, dans les méthodes de médiation et d’animation d’ateliers, dans les modalités d’inscription territoriale de la politique culturelle, etc.
La pensée se met en pratique, et la pratique fait penser. Mais il est bien difficile d’aligner sa pensée et ses pratiques. Je trouve chez le philosophe John Dewey de très opérants outils de « pensée pratique », qui, personnellement, nourrissent mes méthodes de travail. Voilà pourquoi j’ai souhaité mettre en partage une très courte biographie et une citation de John Dewey :
John Dewey est un philosophe pragmatiste américain, qui place l’expérience comme axe central dans la construction de la pensée et de la démocratie. Il eut une très grande influence dans la première moitié du XXe Siècle, dans la politique, la psychologie, la philosophie et la pédagogie (Célestin Freinet, par exemple, se réclamait de la pensée de Dewey). Puis il fut oublié, considéré comme trop optimiste.
Les idées de John Dewey reviennent sur le devant de la scène depuis le début des années 2000. Elle constituent à mon sens des outils précieux pour accompagner la mise en œuvre de systèmes de coopération humains efficients : dans son livre Le public et ses problèmes (1927), il postule qu’aucun système politique ne peut fonctionner s’il n’est pas capable de se remettre en question en profondeur au fur et à mesure des expériences. Dans son ouvrage L’art comme expérience (1934), il avance que l’art est d’abord et toujours une expérience vécue, partagée, et non pas un objet externe et supérieur :
On identifie généralement l’œuvre d’art à l’édifice, au livre, au tableau ou à la statue dont l’existence se situe en marge de l’expérience humaine. Puisque la véritable œuvre d’art se compose en fait des actions et des effets de ce produit sur l’expérience, cette identification ne favorise pas la compréhension.
Je trouve John Dewey inspirant car, à l’opposé des quêtes de « bons principes », sa démarche soutient la légitimité de méthodes d’expérimentation concrètes et agiles, qui me semblent les plus adaptées aux actions, culturelles notamment, dans notre monde incertain et en évolution permanente, du fait des bouleversements liés au numérique, des mutations écologiques, et autres. Cette agilité me semble nécessaire pour que la culture puisse être l’un des outils incarnés d’une démocratie vivante.
BENOIT LABOURDETTE
Spécialisé en psychologie appliquée et en pédagogie, ce philosophe est principalement connu pour sa célèbre école-laboratoire, appelée communément « l’école Dewey ». Il est un des principaux pédagogues du mouvement d’éducation nouvelle.
Revenir à l’expérience – tel est le geste radical de John Dewey, placé sous l’influence des fondateurs du pragmatisme William James et Charles Sanders Peirce. Et cela est valable dans tous les domaines : esthétique, éthique, pédagogie et politique. ..
En politique, Dewey invite à privilégier une forme de démocratie participative plutôt que le règne des experts. L’expérience du « public » doit primer. C’est ce qu’il défend en 1927 dans Le Public et ses problèmes : « Une classe d’experts est inévitablement tellement coupée des intérêts communs qu’elle en devient une classe avec des intérêts privés et une connaissance privée […]. Tout gouvernement par les experts dans lequel les masses n’ont pas l’opportunité d’informer les experts sur leurs besoins ne peut être autre chose qu’une oligarchie gérée en vue des intérêts de quelques-uns. »
L’art, enfin, offre une forme d’expérience augmentée, mais pas fondamentalement différente de l’expérience ordinaire. « L’expérience esthétique est une expérience imaginative », affirme-t-il simplement dans L’Art comme expérience (1934). « L’esthétique ne s’ajoute pas à l’expérience, de l’extérieur, que ce soit sous forme de luxe oisif ou d’idéalité transcendante », précise-t-il, elle est « un développement clair et appuyé de traits qui appartiennent à toute expérience normalement complète ». Cela signifie qu’elle peut surgir quelles que soient les conditions, chez tout individu, devant une œuvre d’art, un paysage, ou même une scène de l’ordinaire. En somme, elle est démocratique.
Art comme expérience
Ce document contient une série de dix conférences faites par l’auteur à l’université de Harvard. Il s’applique à combattre la conception du beau comme une manifestation isolée du reste des concepts humains qui conduit à isoler dans des musées, par exemple, des objets intitulés : objets d’art. Pour lui, la qualité esthétique est la manifestation d’une expérience commune et non un phénomène à part car toute expérience est le résultat d’un jeu réciproque de forces mises en mouvement entre un évènement extérieur et une personne. Ce jeu n’est ni causal, ni désordonné. Il suit un processus avec un commencement et une fin. Lorsque ce processus se développe sans dissonances, alors il revêt par cela même une qualité esthétique ; à l’origine d’une émotion esthétique. L’œuvre d’art étant une œuvre d’expression doit pouvoir être communiquée aux autres. L’art tend donc essentiellement à mettre les hommes en rapport les uns avec les autres et à constituer entre eux, un lien d’expérience immédiate commune, moyen d’échapper à l’individualisme [6]. L’art comme expérience, traduction Jean-Pierre Cometti et alii, Éditions Farrago/Université de Pau, 2005 et Gallimard, 2001
|
Leave A Comment