Il n’y a pas d’identité culturelle

Pour d’aucuns, notre identité viendrait de nos ancêtres les gaulois, qui auraient ainsi l’étrange particularité de ne pas avoir d’ancêtres, car s’ils en avaient, nos ancêtres ne seraient pas les Gaulois, mais les ancêtres des Gaulois, et même les ancêtres des ancêtres des Gaulois, et on n’en finirait pas…. Pour d’autres, notre identité n’aurait pas d’origine précise, mais un qualificatif : malheureuse, ou bien menacée, ou même déjà fracturée, ou, au contraire, potentiellement heureuse.

Pendant longtemps, l’identité a été une notion simple. (…)

L’identité serait désormais une qualité que l’on peut conserver, donc aussi une qualité que l’on peut perdre ou que l’on peut vouloir défendre contre ce qui menace de la détruire.  (…) France Culture : La conversation scientifique, Etienne Klein

https://www.franceculture.fr/emissions/la-conversation-scientifique/la-notion-didentite-culturelle-t-elle-un-sens

Dans Libération :

Dans son dernier ouvrage, le philosophe et sinologue s’oppose au concept figé d’«identité» et défend celui de «ressources culturelles» telles que les langues mortes et vivantes. Des outils à disposition de tous, mais menacés par la mondialisation et le communautarisme.

Pour lui, l’identité est un concept inopérant, le propre de la culture étant de se transformer. (…) Ce petit essai défend, sans concession, non pas l’identité mais les «ressources culturelles» européennes, telles que le latin et le grec, l’emploi du subjonctif et la dissertation de philosophie.

Ce titre en lettres rouges, Il n’y a pas d’identité culturelle, est-ce une provocation par rapport aux politiques qui ne parlent que de ça à longueur de discours ?

Je ne peux laisser cette question envahir le débat public sans intervenir, tant elle est mal posée. (…). Les sorties sur l’identité nationale, telles que «nos ancêtres les Gaulois», ont quelque chose de primaire, sans analyse aucune, ni outil élaboré.(…)

Le pseudo-débat actuel repose en effet sur une idée fausse, la confusion entre le processus d’identification par lequel un individu se constitue en sujet et le fait d’attribuer une identité objective à «sa» culture. Même s’il y a quelque chose de rassurant à penser qu’il existe un support objectif, valide, voire éternel à la culture. Quand je dis «il n’y a pas d’identité culturelle», ce n’est pas une provocation. Une culture n’a pas d’identité pour une raison élémentaire : c’est qu’elle ne cesse de se transformer. Comme c’est le cas pour les langues : quand une culture, une langue, ne se transforme plus, elle est morte.(…)

Les «ressources» ne sont pas une notion idéologique : elles ne se «prêchent» pas, contrairement aux valeurs. Défendre des «valeurs françaises» s’inscrit dans un rapport de force, alors que des ressources sont à la disposition de chacun. D’autre part, «identité» va de pair avec «différence». Or, la différence sert seulement à ranger ; et l’on prétend identifier ainsi les caractéristiques de chaque culture.(…)

S’il n’y a pas de différences culturelles, il y a ce que j’appelle des écarts. Alors que la différence opère une séparation sous l’angle de la distinction, l’écart le fait sous l’angle de la distance, qui suppose une prospection : jusqu’où va l’écart ? L’écart produit un dérangement, comme on dit «faire un écart» : il est exploratoire. Dans la différence, une fois la distinction faite, chacun des termes s’en retourne de son côté. L’écart permet, en revanche, aux deux termes de rester en regard. Et cette tension est féconde. Chacun y reste dépendant de l’autre pour se connaître et ne peut se replier sur ce qui serait son identité.

Est-ce qu’il n’y a pas un moment où l’écart peut mettre en péril la cohésion de la société ?

Au contraire, l’écart, parce qu’il ouvre une distance, fait apparaître de l’entre, où se produit du commun. Du commun qui n’est pas le semblable – cette distinction est essentielle. Ce qui fait que revendiquer l’assimilation, au sens où l’on aurait à devenir «semblable», comme on le fait si souvent aujourd’hui, n’est pas justifié, et même nous égare. Le commun, ce n’est pas le clonage, la répétition du même, c’est une production intensive qui n’est possible qu’au travers d’écarts, sinon ce commun est pauvre.(…)

La culture française, est-ce La Fontaine ou Rimbaud ? C’est autant l’un que l’autre, c’est l’écart entre les deux. C’est cette tension entre les deux qui est féconde et fait ressource. D’autre part, «défendre», je l’ai dit, s’entend de façon active.(…)

La langue n’est pas un facteur d’identité, c’est un facteur de communauté. C’est la première ressource à partager.(…)  La langue n’est pas en effet une affaire d’identité mais de fécondité : le français est d’autant plus fécond que Rousseau ou Proust ont déployé les ressources du français. Anastasia Vécrin

François Jullien, est l’auteur de Il n’y a pas d’identité culturelle ( L’Herne, Carnets). François Jullien : philosophe, helléniste et sinologue, professeur à l’université Paris-Diderot et titulaire de la Chaire sur l’altérité au Collège d’Etudes mondiales de la Fondation Maison des sciences de l’homme

Extrait : « Face au risque de désintégration que connait la société française aujourd’hui(…), voilà qu’on s’est trouvé brutalement rappelé à la nécessité de penser les conditions d’un « vivre-ensemble »(…). Or de quoi celui-ci est-il fait ? Est-ce de tolérance et de compromis , comme on le prêche, chacun rabattant de ses valeurs et de ses convictions(…)? Ou bien une société ne se déploierait-elle pas plutôt au travers des écarts de ce qu’elle sait maintenir en regard, l’un se trouvant tourné activement vers l’autre, et chacun donc coopérant au commun.(…) Si « dialogue » peut encore avoir un sens, n’est pas qu’un cache-misère pour éviter le clash, il faudra donc le penser dans cette tension générant du commun à partie de l’écart et du vis-à-vis. D’écarts qui ne se referment pas en différences identitaires, mais ouvrent de l’entre où se produit un nouveau commun. » François Jullien, pp.76-77

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