Changeons notre regard sur la télé …

Des séries et des femmes
                             Colloque / Le Havre 18 et 19 novembre 2015
                                                   Jeudi 19 / 10H30-13H
Les temps changent ! Les murs du cinéma « Le Studio », habitués aux débats sérieux de cinéphiles éclairés ont été surpris ce matin là d’entendre circuler des gros mots rarement prononcés ici : télévision et séries. Des mots tabous souvent mal vus. Surprise renforcée quand l’écran a dévoilé les premières images de la saison 1 de la série culte : « Urgences » ! Extase des fans qui retrouvaient 20 ans après leurs héros du dimanche soir : le craquant John Carter, jeune étudiant accueilli par le Dr Benton sans pitié pour le bizuth sous le regard velouté du Dr Ross (comme il était jeune George Clooney !) et de l’espiègle Carol Hathaway. Nous revenaient alors 15 années de plaisir à suivre les aventures palpitantes des héros du Cook County Hospital(1994-2009).
Quel vent soufflait donc sur le Studio ce troisième jeudi de novembre ? Un avant goût du Beaujolais nouveau ? C’est que les deux invités de la première table ronde (Caroline Veunac et Pierre Serisier, journalistes) s’entretenaient avec Carole Desbarats sur la place des séries dans le monde des images. Donc de leur place à la télévision.
Avec beaucoup de finesse et d’enthousiasme Carole Desbarats a permis aux deux intervenants passionnés de partager avec nous leur connaissance impressionnante du sujet et leur amour pour les séries.
Il a fallu d’abord rappeler quelques dates et raviver nos souvenirs. Si les séries occupent tant de place à la télévision aujourd’hui elles le doivent à « Dallas », l’ancêtre et surtout à « Urgences » qui a révolutionné le genre en 1994 et tenu en haleine pendant 15 ans ses aficionados en proposant la première série chorale. Les destins des héros se mêlent et se tissent au fil des années dans un lieu unique tout à fait innovant, les urgences d’un hôpital. Pari audacieux car le téléspectateur, habitué aux flics et aux commissariats découvre un métier peu connu et un jargon professionnel qui renforce l’effet de réel. Les images très fortes complètent le scénario et les dialogues et y ajoutent du sens mais c’est surtout la façon de filmer qui change tout et qui impulse le rythme au récit. La caméra accompagne les personnages en mouvement permanent, ils marchent et parlent en même temps. Pas de temps mort ! On ne lâche plus l’écran car tout fait sens. Et surtout, on ne lâche plus la série ! Pendant 15 ans quand même… Car une série réussie engendre l’addiction absolue et commande un enchaînement rapide des saisons sous peine d’abandon des fidèles! Bien d’autres séries ont su depuis captiver leurs publics.
Curieusement ce succès indéniable et mérité n’intéresse que les fans pourtant très nombreux. Contrairement au cinéma ou à la littérature abondamment commentés et relayés il n’existe pas ou trop peu d’analyse ou de presse spécifique pour les séries. Pas d’émission ou de rendez-vous culturel. Pas d’articles dans les magazines féminins. Pourtant elles attirent d’excellents réalisateurs, des scénaristes et des comédiens de talent qui ont vite saisi un potentiel créatif plus innovant parfois que le cinéma. Ainsi « Cannabis »la prochaine série proposée par Arte , sujet de la deuxième table ronde, réunit autour de la productrice Tonie Marshall la réalisatrice Lucie Borleteau et sa coscénariste Virgine Brac remarquées dans le superbe « Fidelio » (95mn sorti en 2014). Et quelques universitaires avisés exploitent depuis longtemps ce terrain fertile et passionnant.
C’est que la France a un problème avec la télévision. Dénigrée par beaucoup, accusée de tous les maux, jugée abêtissante voire dangereuse par certains, elle est mal vue dans le monde de la culture. On se passionne pour la production littéraire en oubliant que de nombreux rossignols finiront rapidement au pilon. Pourquoi alors ne pas accorder le même crédit aux productions télévisuelles ? On y trouve de très bonnes choses, il suffit de chercher. On peut trouver du sens dans toutes les formes de culture mais on est trop sévère avec la fiction française qui produit pourtant de vraies réussites. Les séries danoises nous ont fait découvrir des histoires exigeantes et osées. Même chose avec les productions de la BBC. Même si la TV française a parfois confondu « série » et « film de télévision » (Julie Lescaut ) il faut avouer qu’elle réussit de plus en plus souvent à être à la fois populaire et ambitieuse. C’est la mission très noble du service public.
Chaque chaîne apporte une réponse différente selon son public en restant fidèle à sa ligne éditoriale et en proposant de belles réussites : « Les Témoins », « Dix pour cent» sur France 2, « Un village français » sur France 3. Et la BBC a même diffusé la célèbre série de Canal + « Engrenages » après avoir boudé la France pendant 20 ans (depuis « Belle et Sébastien » !). Mais c’est surtout Arte qui réussit brillamment, malgré des moyens modestes, en misant sur l’intelligence de son public. Un public exigeant qui a plébiscité l’excellente série « Ainsi soient-ils » (même si les 8 épisodes de l’ultime saison ont été diffusés n’importe comment en 3 soirées indigestes) et qui espère beaucoup du démarrage de « Occupied » créé par deux scénaristes norvégiens sur un scénario de Jo Nesbo, un des maîtres du polar scandinave (épisode 1/10 le 19 novembre 2015).
La deuxième table ronde s’est intéressée à la fabrication de « Cannabis » actuellement en tournage pour Arte et annoncé pour 2016. Les deux invitées, Clara Bourreau scénariste et Isabelle Huige, productrice de la série pour Arte, guidées par les questions dynamiques et perspicaces de Carole Desbarats, ont dévoilé les arcanes de la conception de la saison 1 (6 épisodes de 52 minutes) et leur travail au sein de leur chaîne.
Ce projet illustre parfaitement la spécificité du monde sériel. Arte attire des talents reconnus sur « grand écran » (Lucie Borleteau, Virginie Brac) et respecte sa ligne éditoriale (ouverture sur l’Europe en tournant en Espagne en V.O.) et en adoptant un point de vue d’auteur fort, un regard singulier et un univers visuel différent sur un sujet populaire, le trafic de cannabis entre le Maroc et la France via l’Espagne. Sans oublier l’aspect financier qui oblige Arte à composer avec un budget serré. Si Arte dispose de 700 000 à 800 000euros par épisode (500 000 mis par Arte plus les régions …) Canal + parle plutôt de un million d’euros pour un épisode d’une série française, multiplié par trois pour une coproduction internationale.
Ces créations souvent méconnues pourraient pourtant fournir un terrain d’échanges très riches entre les professeurs et leurs élèves. Car si les jeunes délaissent les salles de cinéma ils découvrent ailleurs les œuvres de talentueux réalisateurs, ignorées voire boudées par leurs enseignants. Comme si il y avait à l’école un art plus noble qu’un autre ? Non fort heureusement ! Il n’y a pas de hiérarchie et l’usage de la télévision ne rend pas forcément idiot. Au contraire car Caroline Veunac l’a avoué : elle a adoré regarder les séries qu’elle évoque avec plaisir : « Starsky et Hutch », « L’Homme qui valait trois milliards », « Angela, 15 ans », « Le Prisonnier »…
Alors, tous à nos télés !
Et à nous « Engrenages », « Les Soprano », « P’tit Quinquin », « Borgen » et « Ainsi soient-ils » !
Christine BARON-DEJOURS, Association MCH /23 novembre 2015

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