NOUVELLES PRATIQUES THEATRALES

La place du spectateur

Les 13,14 et 15 novembre 2014, à Nantes, ont eu lieu les rencontres internationales : Place du théâtre forme de la ville, nouveaux horizons urbains, nouvelles pratiques théâtrales, organisées à l’initiative du département scénographie de l’ENSA, définies ainsi: « Pas un colloque…mais une grande conversation. » Pari réussi.

Trois jours de débats, de récits, d’expériences, d’interrogations, de doutes mais également de confiance dans un art vivant, mouvant, changeant, divers et ouvert. Les intitulés des tables rondes parfois provocateurs ont permis de rendre la parole passionnante.
La quarantaine d’intervenants, artistes, scénographes, architectes, universitaires, journalistes, chercheurs, chorégraphes, metteurs en scène, ont pu, dans un échange sans précipitation, poser la question de la place du théâtre au XXIème siècle. Si le théâtre garde ses pratiques traditionnelles liées au texte, il devient aussi laboratoire où l’influence du cinéma, de la télévision, du numérique, s’insinuent, s’installent, passant parfois du réel au virtuel, se dirigeant de plus en plus vers des modes artistiques multiples, verbaux ou non. Les expériences artistiques de « La ville créative », constituent également une sorte d’alternative au théâtre tel qu’il est compris ordinairement. Mutations qui parfois brouillent la frontière entre spectateur et acteur.
La table ronde N° 2 : Formes actuelles du théâtre, rôle des spectateurs : le théâtre peut-il s’ouvrir aux nouvelles pratiques citoyennes participatives ? posait implicitement la question de la place du spectateur dans ce que l’on pourrait pourrait désigner comme un « théâtre à côté ». C’est à ce questionnement que cet article est consacré.

Les nouvelles pratiques et le rôle du spectateur

A la forme classique du théâtre, aux formes qui naissent et s’épanouissent dans le foisonnement de nouveaux lieux scéniques (quels qu’ils soient, bâtiments, rues, friches…) s’ajoutent ce que l’on appelle les créations partagées ( en parcours nomades et niches insolites ) où les habitants de la ville sont sollicités pour participer à une action artistique. Ce sont les « pratiques participatives ».
Pour illustrer le propos, quelques exemples ont été apportés pendant ces rencontres: Les veilleurs de Rennes, Les promenades, Le parlement des invisibles.

Les veilleurs de Rennes :

C’est un poste de vigie de cinq mètres de haut et de large qui va prendre place sur un promontoire du centre de Rennes, un « objet-abri » apportant à la fois visibilité et pouvant aussi être vu par un jeu d’ombres. À l’intérieur, chaque matin et chaque soir, un habitant prend place pendant une heure pour veiller, à tour de rôle, au lever et au coucher du soleil sur la ville. Pendant 365 jours, séparé du monde et sans lien avec l’extérieur pendant ce temps de veille, c’est ainsi 729 acteurs / observateurs qui peuvent se concentrer sur cet instant privilégié, les sens en éveil, ouvrir leur regard à perte de vue sur la ville. La population peut attester de la présence de son « veilleur » à ces instants cruciaux de la journée.

Les promenades :

 L’idée est de faire expérimenter une partie de notre processus de création au public, en explorant un espace en « état de promenade », nez au vent, yeux grands ouverts, en flânant. Le trajet suivi, les impressions et sensations sont recueillies (carnet de promenade, photos, impressions…) et partagée collectivement à l’issue de la promenade.

Le parlement des invisibles :

Pauline Peretz a présenté « Le parlement des invisibles », mené en collaboration avec Pierre Rosanvallon. C’est une collecte de récits intimes qui ont abouti à un recueil de paroles :
Une impression d’abandon exaspère aujourd’hui de nombreux Français. Ils se trouvent oubliés, incompris, pas écoutés. Le pays, en un mot, ne se sent pas représenté. Le projet Raconter la vie, dont cet essai constitue le manifeste, a l’ambition de contribuer à le sortir de cet état inquiétant, qui mine la démocratie et décourage les individus. Pour remédier à cette mal-représentation, il veut former, par le biais d’une collection de livres et d’un site internet participatif, l’équivalent d’un Parlement des invisibles. Il répond au besoin de voir les vies ordinaires racontées, les voix de faible ampleur écoutées, la réalité quotidienne prise en compte. Raconter la vie ouvre un espace original d’expérimentation sociale et politique, autant qu’intellectuelle et littéraire. Ce projet envisage la publication de 12 livres par an environ.

Robin Renucci, très sensible à la question du public et de l’invisibilité des gens, a été séduit par le travail de Pierre Rosanvallon : « Cette écriture m’intéresse parce que c’est une source de récits formidables… on donne aux gens la possibilité d’être auteurs. » (Source France Culture)

Public participatif

Dans ces processus de création collective, le « public » est actif. On observe que ces actions font partie d’un « projet », ( politique de la ville, étude sociologique). Le parcours artistique, dit-on : « peut changer la ville » en ajoutant que: « quelque chose se passe alors dans la vie des habitants», la collecte de paroles remédie à « une malreprésentation » d’individus ordinaires.
Chacune de ces actions est toujours préalablement préparée, pensée par les organisateurs. Les habitants sont d’abord sollicités (voix de presse, associations…) puis triés en fonction de leurs propositions et de leur situation. Dans Les veilleurs et dans Les promenades, on distingue un choix de personnes qui sont anonymes dans la ville, par un engagement provisoire qui change provisoirement leur vie : une sorte de vie à côté, pour un moment. Le but est de théâtraliser la ville, grâce à ses habitants qui en deviennent les acteurs éphémères. Le Parlement des invisibles, est une étude sociologique qui attire l’attention d’un metteur en scène dont le projet essentiel est d’attribuer un rôle d’auteur à un public.

A propos du Parlement des invisibles, Catherine Baugrand a exprimé sa perplexité en demandant s’il n’y avait pas un danger de story-telling à produire ces petits récits. Au nom de quoi quelqu’un se raconte-t-il ? Au nom de quoi accueille-t-on son récit ? N’y a-t-il pas un risque d’être pris malgré nous dans nos bons sentiments, de profiter de la parole des gens, de la coloniser ? Comment celui qui fait don de sa parole, peut-il ensuite s’en détacher, à partir du moment où il est absorbé par une transformation aboutissant à une parole collective. Et que devient le spectateur qui aime qu’on lui raconte une histoire (sur une scène ou ailleurs) et pas des histoires qui sont des témoignages ?
Pour Olivier Mongin, Le spectateur souhaite avant tout : « voir des gens qui font des choses qu’il ne sait pas faire », les grands moments sont créés par des professionnels. La place des habitants de la ville ne peut pas être celle des artistes, parce que « habiter » n’est pas un moment théâtral. Il y a, dans la ville, nécessité à favoriser l’anonymat : la ville n’est pas le village, et l’on doit préserver la part d’invisibilité de plus en plus compromise aujourd’hui. Et ce n’est pas, non plus, à l’artiste de prendre la société en charge.
Luc Boucris revendique le retrait du spectateur devant un grand texte: une mise en scène entraîne et accueille progressivement le spectateur, c’est dans ce temps qu’il accède à l’oeuvre. « L’oeuvre n’existe que s’il y a échange avec le spectateur » dit-il. Dans le spectacle participatif, il y a dramatisation du spectateur, devenant lui-même acteur de son propre parcours, alors que la dimension symbolique du théâtre, son véritable enjeu, est « la quête profonde qui réunit public et théâtre face à l’inconnu ».

La dilution du spectateur ?

Ces personnes qui ne sont finalement ni acteurs ni spectateurs, puisque c’est de leur propre vie qu’il s’agit, font-ils oeuvre artistique ? En jouant leur propre rôle dans une sorte de jeu de rôles… Participent-ils à une action artistique ou à un programme d’action sociale ?

Dans la représentation théâtrale il y a toujours une séparation, quel qu’en soit le lieu. Dans le théâtre de rue, par exemple, où le plateau n’existe pas, un mur invisible subsiste toutefois entre le spectacle et celui qui y assiste. Le spectateur est celui qui regarde, écoute. Cet espace entre la scène et l’individu, est ce qui fait le théâtre. Dans ces projets « implicatifs », l’immersion laisse-t-elle une place à ce qui fait la spécificité du spectateur ? Quand le public est également acteur, où se trouve le théâtre ?
Le dernier mot reviendrait peut-être à une personne, dans la salle, qui a dit ceci : « Il semble qu’on ne fasse plus confiance au spectateur ».
Ainsi, la question est posée: peut-il y avoir théâtre quand la scène est le lieu d’où l’on regarde ? D’où l’on se regarde, regardé.

Catherine Désormière

http://www.nantes.archi.fr/place-du-théâtre-forme-de-la-ville

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