« L’âme de celui qui s’est élevé devient joyeuse »

Patrick Wotling, le philosophe selon Nietzsche

« L’esprit, tout comme la vertu, s’est essayé et s’est égaré de cent façons différentes. Oui, L’homme était un essai. Hélas ! beaucoup d’ignorance et d’erreurs se sont incarnées en nous ! Ce n’est pas seulement la raison millénaire qui se manifeste en nous mais aussi la folie millénaire. Il est dangereux d’être héritier. Pour l’instant encore nous luttons pied à pied avec le géant nommé Hasard et sur l’humanité entière a régné jusque là, ce qui est insensé, ce qui a perdu le sens. Que votre esprit et votre vertu servent le sens de la terre, mes frères : et que vous établissiez pour toute chose une valeur nouvelle ! c’est pourquoi vous devez être des combattants ! C’est pourquoi vous devez être des créateurs ! Par le savoir, le corps se purifie ; en faisant des tentatives avec science, il s’élève ; tous les instincts se sanctifient en celui qui accède à la connaissance ; l’âme de celui qui s’est élevé devient joyeuse. »

Nietzsche, Ainsi parlait Zarathoustra (1885), « De la vertu qui prodigue », § 2 (trad. Georges-Arthur Goldschmidt, Livre de poche)

https://www.franceculture.fr/emissions/les-nouveaux-chemins-de-la-connaissance/patrick-wotling-le-philosophe-selon-nietzsche

Loin d’être une succession d’aphorismes arbitraires, la pensée de Nietzsche se présente au contraire comme une mise en forme ordonnée et cohérente d’une philosophie dont Wotling se propose d’explorer la rationalité certes déplacée mais toutefois bien présente. D’où ce constat qui guidera tout l’ouvrage : « Nietzsche n’a de fait rien d’un mystique, d’un romantique, ou d’un irrationaliste, si l’on entend par là un esprit qui se dispensait de toute cohérence pour adorer la seule affirmation – il a, en revanche, bel et bien tout fait pour compliquer la tâche de son lecteur. Et ce, avant tout en masquant la cohérence à laquelle il se soumet. »(…)

Le premier chapitre se propose ainsi de poser la vérité comme « régime d’interprétation », ce qui sera au fond le fil conducteur des occurrences de la vérité tout au long de l’ouvrage.

Là où Wotling témoigne d’une originalité certaine, c’est par l’angle d’attaque retenu pour traiter de ce problème : il part d’une lettre de Descartes envoyée à Chanut le 31 mars 1640, dans laquelle celui-là explique à celui-ci que quiconque possède la vérité ne se soucie plus de la chercher ; de cette lettre, deux remarques méritent d’être tirées : d’une part, et c’est une évidence, rechercher la vérité signale qu’on ne la possède pas encore ; mais d’autre part, et c’est fort intéressant, une fois que l’on possède la vérité, on n’y pense plus, de sorte que la possession de la vérité s’accompagne aussitôt de l’oubli de sa quête, c’est-à-dire que la vérité ne peut plus faire l’objet d’une quête consciente ; aux yeux de Wotling, cette remarque cartésienne est déjà nietzschéenne : l’oubli chez Nietzsche, n’est pas la disparition de la chose pensée, car « ne plus penser à quelque chose que l’on possède constitue aussi bien la marque spécifique de l’intériorisation. En d’autres termes, l’inconscience et l’oubli, en leur dimension fondamentale, se présentent bien plutôt comme les résultats de la présence effective de la chose, en acte, et surtout de la maîtrise parfaite de la chose. »(…)

Wotling prend le temps d’expliquer avec intelligence quelle est la véritable question nietzschéenne : non pas « y a-t-il du vrai ? » mais bien plutôt « pourquoi préférons-nous le vrai à l’erreur ? » Autrement dit, Wotling montre admirablement que le problème de Nietzsche est celui de comprendre pourquoi les hommes préfèrent une interprétation du monde (le vrai) à une autre (le faux) : mais se demander pourquoi les hommes préfèrent le vrai au faux, ce n’est pas nier l’existence du vrai – et du faux – c’est tout au contraire avaliser leur réalité, tout en se demandant pourquoi l’un serait préférable à l’autre.

Le vrai et le faux sont deux lectures possibles du monde, et Nietzsche essaie de montrer que nous n’avons pas de raisons rationnelles incitant à préférer une lecture vraie du monde à une lecture fausse ; là réside la véritable subversion nietzschéenne qui se situe aux antipodes du relativisme.

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