Entretien avec Stéphane Braunschweig

L’Ecole des femmes, de Molière,  après l’ Odéon-Théâtre de l’Europe à Paris, tourne en France jusqu’à fin mai 2019.

Fabienne Darge : Vous avez choisi de monter « L’Ecole des femmes », qui, dans votre mise en scène, résonne fortement avec ce que nous vivons, l’émergence d’un nouveau féminisme, le mouvement #metoo

Je ne choisis pas les pièces que je monte en fonction de critères à remplir, et j’avais envie de mettre en scène L’Ecole des femmes depuis longtemps. Entre le moment où le projet s’est décidé et celui où on s’est mis à travailler, il y a eu le mouvement #metoo et, au-delà, une prise de conscience de ce que les femmes subissent. La manière dont cette actualité a percuté le projet a profondément influencé ma vision de la pièce et ma façon de la mettre en scène. En tant qu’artiste, on est poreux par rapport au monde dans lequel on vit. Mon rôle, si je mets en scène une pièce de Molière, c’est de faire le pont avec aujourd’hui. Ce qui n’empêche pas de l’explorer de l’intérieur, d’en chercher toutes les subtilités.

Est-ce que vous avez eu le sentiment de redécouvrir le texte ? On a beau connaître la pièce, on la réentend de manière différente dans votre mise en scène. Pourtant, vous n’avez pas touché au texte.

On a juste effectué quelques coupes, mais il n’y a pas de réécriture, en effet, ce n’est pas mon style. Molière nous réserve toujours des surprises. On a toujours l’impression, si ce n’était l’alexandrin, qu’il nous parle de nous. La difficulté, c’est que, comme disait Vitez, il y a quand même une trame de farce derrière tout ce qui se raconte, et qu’il fallait faire très attention à ne pas tuer le comique : si on tue le comique, on tue Molière.

Comment avez-vous travaillé sur le personnage d’Agnès, interprétée de manière inédite par Suzanne Aubert ?

La question, avec Agnès, c’est de savoir qui elle est. De savoir, aussi, si cela peut exister aujourd’hui, avec les portables et les réseaux sociaux, une jeune fille de 17 ans qui ne saurait rien à rien. Donc on se dit : prenons cela comme une fable. Mais donnons à cette fable la force du réel. Nous avons travaillé, d’emblée, à faire en sorte qu’Agnès n’existe pas uniquement dans le regard de l’homme Arnolphe ou de l’homme Molière, mais qu’elle existe par et pour elle-même, pour échapper au fantasme masculin.

Pour cela, on a une difficulté qui est aussi un avantage : les personnages féminins chez Molière sont très mystérieux. Comme il écrit très peu de leur point de vue, ils sont opaques. Ce qui laisse une marge de jeu, d’interprétation. Et puis, l’alexandrin parle par périphrases, par allusions, par sous-entendus : on peut remplir tout ce que cela évoque, aussi, par le réel.(…)

Que peut le théâtre face aux problèmes du monde ?

Notre devoir, c’est de travailler sur la fracture culturelle. On fait beaucoup d’éducation artistique aussi, à l’Odéon. C’est fondamental. Notre endroit de résistance, c’est la nuance et la complexité, dans un monde à nouveau très manichéen. Le théâtre ne peut pas réparer la fracture sociale. Mais il peut aider à résister. Il ne faut pas démissionner, on n’en a pas le droit. 

Chronique de Fabienne 

Molière réussit bien à Braunschweig, de même que son acteur fétiche, Claude Duparfait, déjà remarquable dans Le Misanthrope et dans Tartuffe, et qui n’a pas son pareil pour incarner des hommes torturés, névrosés, affligés de ­contradictions insolubles. Il est ici Arnolphe, bien sûr, le barbon qui se garde au chaud une petite orpheline, Agnès, achetée à l’âge de 4 ans dans le but d’en faire son épouse. Un Arnolphe comme on ne l’a jamais vu, qui pédale ­activement sur son vélo de salle de sport pour rester en forme, en compagnie de son ami ­Chrysalde (joué par le formidable Assane Timbo).(…)

Braunschweig, Claude Duparfait et Suzanne Aubert, qui est une Agnès fabuleuse et totalement inédite, tirent avec une grande ­finesse les fils de ces fantasmes d’ingénue perverse et d’ogre dévorateur. Fantasmes qui finalement ne piègent pas seulement Agnès, première victime de ce jeu de rôle cruel, mais aussi Arnolphe, chez qui la volonté maladive de possession et la peur panique d’être « cocufié »bloquent toute possibilité d’aimer et d’être aimé….

Agnès, à qui le beau travail vidéo en noir et blanc de Maïa Fastinger redonne un visage vrai et émouvant, est seule dans un monde d’hommes qui jouent avec elle à leur guise. Son sort est d’une noirceur sans recours,..La fin de la pièce, telle qu’elle est vue ici, n’a rien d’un happy end. Certes, Agnès va pouvoir épouser Horace, qui l’a séduite en roucoulant sous ses fenêtres. Mais Horace est un benêt sans consistance, qu’elle n’a pas plus choisi qu’Arnolphe, puisqu’il s’avère être le promis d’un mariage en fait arrangé par son oncle. lemonde.fr 

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