ASSEMBLEE STATUTAIRE JUIN 2022
RAPPORT MORAL 2022
Bonjour à toutes et à tous,
Nous venons de vivre 2 années éprouvantes, marquées par une crise sanitaire qui a causé des dommages individuels et collectifs, psychologiques, sociaux et politiques, et affecté nos façons de vivre et nos habitudes quotidiennes, nos liens aussi.
Aujourd’hui, le philosophe Abdennour Bidar, par exemple, s’inquiète de l’espèce d’amnésie collective qui semble nous saisir : est-ce signe de résilience ou retour sans réflexion au « monde d’avant » ? Pour lui il faudrait regarder en face les séquelles de cette crise. (livre : Démocratie en danger).
Gilles Paris dans Le Monde du 16 juin 2022 affirme sans ambages : « Il est devenu banal de déplorer que « le monde d’après » volontariste et optimiste évoqué pendant la pandémie de Covid-19 ressemble à s’y méprendre au « monde d’avant ». A l’aune de la catastrophe provoquée par l’invasion russe de l’Ukraine, on ne peut que constater que ce ne sera sans doute pas le cas : il risque d’être bien pire. »
Où en sommes-nous en 2022 ?
Globalement, dans un contexte de hausse des prix, au premier trimestre 2022, le nombre de
demandeurs d’emploi de catégorie A, B et C était de 5,5 millions de chômeurs recensés en moyenne. On sait que les difficultés économiques pèsent sur les choix budgétaires des habitants et que les inégalités, dans tous les domaines, sont devenues insupportables.
Il est éclairant de dresser un tableau de politique culturelle.
Le « quoi qu’il en coûte », les aides publiques et les mécènes ont à peu près évité la casse.
En 2022, l’argent culturel d’Etat, si on ratisse très large, s’élève actuellement à 16 milliards d’euros. L’Etat cependant finance 1/3, contre 2/3 pour les collectivités locales : il est prescripteur plus que financeur.
Localement, sur le site officiel de la Ville du Havre, le budget s’élève, en fonctionnement, à 27 M 63 d’€ pour l’ensemble de la culture. La part relative Culture et patrimoine dans les impôts locaux qui alimentent le budget primitif voté en 2021 est de 12,3%.
À l’échelle de la France entière, 10 900 équipements culturels ont été recensés en 2016. 75 % de ces lieux sont des équipements publics financés par l’État et les collectivités territoriales. Les équipements de lecture publique constituent le premier lieu culturel de proximité sur les territoires.
Vous vous souvenez que depuis 1981, avec Jack Lang, le pays a été maillé de théâtres, de musées, de bibliothèques, de lieux de spectacles, de festivals grâce à des « financements croisés » de l’Etat, une ville, une métropole, une région et un département…
C’est dire que les citoyens jugent en fait acquis la culture comme « un service public ».
On note avec intérêt la constatation de l’Observatoire des politiques culturelles : « Après plusieurs décennies de décentralisation et de développement, les politiques publiques en faveur des arts et de la culture sont aujourd’hui confrontées à d’importantes évolutions sociétales, à des changements institutionnels liés notamment aux réformes territoriales, à des difficultés majeures de financement… »
Quelles évolutions ? Michel Guerrin dans le journal Le Monde nous donne certaines clés de compréhension dans ses chroniques.
Ainsi il note en avril que l’artiste et l’excellence ont perdu de leur prestige.
La bonne gestion, le nombre d’entrées et le rapport qualité-prix ont pris le pas sur la création.
En effet, on constate que le public vieillit et s’embourgeoise lentement, au détriment des jeunes et des classes populaires. La priorité c’est donc le public.
La feuille de route du ministère est celle-ci : « l’obligation de penser local, au plus près des territoires, mais aussi celle de relever le défi des transitions numérique et écologique, et en surplomb de tout cela, la nécessité de replacer les publics, à commencer par les jeunes, au cœur des politiques culturelles. » Il faudrait « faire plus local et moins cher », des économies donc. Notons que la Cour des comptes reproche un déséquilibre entre l’abondance des créations et une diminution des diffusions.
Comment séduire une jeunesse « fragmentée et contradictoire » ? Comment développer une politique culturelle cohérente en tenant compte de la France rurale, des périphéries, des petites structures, sans privilégier le folklore ou les groupes privés ? Comment échapper à l’opposition entre le populaire et l’excellence, lieux d’art et lieux de divertissement, pour faire culture ensemble ? Comment éviter des baisses de subventions et des coupes budgétaires ou des décisions qui paraissent arbitraires ou incohérentes ? Toutes ces questions appellent notre vigilance.
De leur côté les candidats à la direction d’établissements phares sont interrogés sur leur politique pour les publics et sur leur capacité à respecter les budgets. La nomination de deux nouvelles directions va dans ce sens : Fouad Boussouf au CCN et Camille Barnaud au Volcan. Ecoutez leur Entretien accordé à Viva Culture sur Ouest-track radio.
Ce renouvellement donne cependant peut-être un certain espoir d’énergie communicative et d’élargissement des publics : beaucoup ont envie, comme le Phare et le Volcan, de spectacles énergiques et festifs. Nous avons été tellement privés de culture en général pendant l’épidémie, que certains ont du mal à retourner dans les salles. Mais il est réjouissant de constater un léger frémissement.
Je ne détaillerai pas ici nos projets que notre équipe présentera lors de cette Assemblée générale.
Je voudrais voir avec vous ce que notre association a réussi à réaliser lors de ces années de pandémie et malgré des difficultés.
Bien sûr notre association comme d’autres, et peut-être comme vous, a eu du mal à résister,
notamment par exemple pour les Apéros des spectateurs, désertés par manque de spectacles et de motivation. Sauf pour la belle rencontre organisée au bar Le plan B, après notre vision de L’île d’or d’Ariane Mnouchkine.
Notre participation à la Journée du Patrimoine, pilotée par Eric Charnay, a connu un faible
nombre de visiteurs, mais elle a rappelé les lieux qui ont accueilli la MCH depuis 1961. Elle a aussi acté la persistance de l’idéal des fondateurs comme un « patrimoine immatériel ».
Mais d’autres activités ont tenu bon !
Nos infolettres, notre page FB et notre site ont prouvé leur utilité : Information, soutien, et lien !
Nos émissions Viva Culture sur Ouest-track radio n’ont jamais cessé, et l’équipe composée de
Catherine Désormière, Annie Drogou, Didier Guilliomet, Patrick Ducher et moi-même a tenu bon ses chroniques ! Découvertes d’artistes, de penseurs, d’œuvres, de lieux…
Notre trimestriel a été rédigé et distribué en temps et en heure sauf le n° 26 qui a connu un
retard.
Les Bons plans au Volcan ont été assurés par Christophe Manchon, selon vos vœux. Celui à la
Cartoucherie de Vincennes a connu un vrai succès (26 participants, un dimanche d’énergie et de réconfort !)
L’opération Musique pour tous pilotée par Véronique Daumont avec Eric Charnay s’est
développée.
Une rencontre dans le cadre des Grandes conversations a été concrétisée :
Nous avons accepté la proposition de Thibaud Blaschka d’un ciné-débat au cinéma le Sirius avec la projection d’un film de Jean-Charles Massera avec des ouvriers de l’usine Dresser-Rand : Le déjeuner sur le stade. Cette soirée, que Thibaud vous a présentée à la dernière AG, a eu lieu : merci aux adhérents qui ont répondu « présent ! ».
Finalement, je peux dire que deux objectifs de notre association ont été privilégiés : réfléchir à des thématiques, des problématiques culturelles d’une part, et mettre en commun nos expériences et nos savoirs d’autre part. Les actions liées à ce partage ont tenu bon !
Mais nous regrettons un certain affaissement de l’ambition politique pour la culture. Les enjeux sont tels que privilégier la question du sens face aux logiques financières et de gestion est plus que jamais nécessaire.
Les valeurs que nous défendons ne reposent pas seulement sur un objectif de « spectateur augmenté » mais sur une aspiration à la culture comme bien commun entre les mains de citoyens plus libres et plus solidaires, dans une démocratie authentique. « Seul l’art a cette capacité à réunir les êtres et à les ouvrir aux autres », déclare Kader Attia dans Télérama (15 juin 22)
Ce travail de spectateur actif est parfois modeste, même si les initiatives restent ambitieuses.
Nous avons compris combien la culture est quelque chose de fragile et d’essentiel : notre rôle, à notre place de spectateurs et d’interlocuteurs dans le monde culturel, s’en trouve légitimé et renforcé, d’autant plus, bien sûr, que le nombre de nos adhérents augmentera.
Ceci nous renforce dans la poursuite de notre travail la saison prochaine : celui d’un public, défini dans notre trifolio : « ni captif, ni cible, mais sujet. »
Isabelle Royer, présidente