Observatoire des Politiques Culturelles
Comment les régimes illibéraux instrumentalisent-ils la culture ? En écho à l’actualité, le média de l’OPC s’est intéressé à la culture comme champ de bataille idéologique. Que ce soit à travers le patrimoine, la musique ou les réseaux sociaux, les courants illibéraux diffusent leurs idées de manière insidieuse mais efficace. De la Russie à la France, en passant par les États-Unis, l’historienne et politiste Marlène Laruelle décrypte les mécanismes de cette infrapolitique culturelle et alerte sur la nécessaire contre-offensive des démocraties. Dans l’Hexagone, la lecture « détournée » du patrimoine constitue aussi un élément puissant dont s’est emparée l’extrême droite. Sans préjuger des succès électoraux à venir de ce courant politique, que se passerait-il si les acteur·rices culturel·les devaient travailler avec des élu·es qui en sont issu·es ? C’est le scénario discuté par Haute Fidélité, pôle des musiques actuelles en Hauts-de-France.
Du côté des pratiques culturelles, le média s’est penché sur le jeu vidéo, un loisir de masse, mais encore marginal dans les lieux artistiques. Pourtant des initiatives existent, notamment celle du collectif Sous les Néons qui fait du jeu vidéo un nouveau médium artistique et une forme d’expression créative prenant place sur scène.
Quant au sociologue Akim Oualhaci, il met en lumière les « têtes de quartier » ou « figures d’intellectualité » en milieu populaire : des jeunes qui ont acquis des savoirs par le biais de l’école ou de manière autodidacte et qui les redistribuent à l’échelle de leur quartier. En quoi peuvent-ils être considérés comme des prescripteurs culturels ? Comment font-ils le lien entre culture dite « légitime » et culture populaire ?
Coup de projecteur sur Douarnenez où un collectif d’habitants s’est mobilisé contre la cartepostalisation de sa ville. Une résistance en réaction à ce qui est perçu comme lissage progressif de la cité. Ce processus de « gentrification touristique » a eu pour effet, nous disent les auteurs, de contribuer à invisibiliser des populations précarisées et à effacer progressivement les marqueurs architecturaux qui font l’histoire de cette ville ouvrière et industrielle.
Enfin, le média et la revue l’Observatoire ont consacré plusieurs productions aux défis qui animent le théâtre public aujourd’hui. Le Grand T à Nantes (qui sera renommé Mixt fin 2025) fait figure de laboratoire. Catherine Blondeau partage, dans un podcast, sa vision d’un théâtre ancré dans son époque, soucieux d’écologie, d’inclusion et de participation. Au-delà de cet exemple, c’est le modèle même du théâtre public qui est interrogé. Élitaire ? Déconnecté ? Dans quelle mesure aurait-il perdu de vue le populaire ? s’interrogent Marjorie Glas et Bérénice Hamidi dans un podcast. D’autres controverses fissurent son assise et mettent à jour des conflits de valeurs qui minent son récit fondateur républicain, analyse Bérénice Hamidi. Autant de dissonances qui viennent aussi fragiliser le consensus autour de son soutien public. Dès lors, quelles pistes explorer pour actualiser son rôle social et civique ? questionne Vincent Guillon dans son article. Les créations participatives constituent-elles un levier pour ouvrir les portes du théâtre à une plus grande diversité de publics ? Séverine Ruset dépeint un tableau en demi-teinte : si ces créations rendent manifeste la participation du plus grand nombre à la vie culturelle souhaitée par les pouvoirs publics, l‘envers du décor trahit une situation moins idyllique pour les professionnels comme pour les amateurs.
Théâtre public : les scènes de la discorde
S’il a fondé sa légitimité sur l’idée d’un théâtre de service public pour tous, le théâtre public est aujourd’hui critiqué pour son entre-soi et son éloignement des classes populaires. En 2023, seulement 14 % de la population avait assisté à un spectacle de théâtre au cours de l’année. Parmi ceux qui n’y étaient pas allés, 45 % évoquaient un manque d’intérêt.
En parallèle, différentes affaires secouent la scène théâtrale et la scène médiatique depuis 2007 : blackface, personnages non blancs joués par des artistes blancs, stéréotypes racistes… Des tensions qui révèlent des conflits de valeurs et qui fissurent le récit fondateur du théâtre public et le modèle républicain dont il se réclame.
Un podcast enregistré à l’occasion d’un débat organisé par l’Observatoire des politiques culturelles, lors des rencontres professionnelles de l’ISTS, le 15 juillet 2024 à Avignon.
L’instrumentalisation de la culture au service de l’idéologie illibérale
Pouvez-vous commencer par définir la notion d’« illibéralisme » et notamment la différence que vous faites avec le populisme ?
Marlène Laruelle – Le populisme n’a pas vraiment de contenu idéologique, il peut être de droite ou de gauche. Il s’agit plutôt d’un style, d’une rhétorique, où l’on oppose des élites corrompues à un peuple supposé vertueux. L’illibéralisme est une famille idéologique reposant sur le constat que le libéralisme politique, entendu comme projet centré sur la liberté individuelle et les droits humains, a échoué ou a été trop loin.
En quoi la culture et les modes de vie sont-ils des vecteurs de transmission de valeurs, notamment idéologiques ?
M. L. – Nos valeurs se matérialisent dans nos modes de vie et, à l’inverse, le vécu du quotidien alimente nos visions du monde et orientations idéologiques. Celles-ci ne s’expriment pas uniquement dans le soutien à un parti politique, on les retrouve dans nos consommations culturelles, loisirs et habitudes environnementales… C’est ce qu’on appelle, dans notre jargon de sciences sociales, l’infrapolitique.
Pour le dire autrement, l’infrapolitique est la manière dont on exprime un projet de société à travers nos modes de vie quotidiens et nos consommations culturelles. Nous sommes tous des êtres politiques dans la vision du projet de société auquel on croit, pas seulement lorsque nous mettons un bulletin de vote dans l’urne.
Y a-t-il des types de production culturelle qui véhiculent plus facilement ou rapidement des valeurs idéologiques, lesquelles sont ensuite politisées ?
M. L. – Oui, l’une des plus évidentes est le cinéma. Il existe une grande tradition de propagande idéologique via l’industrie du cinéma, notamment dans les régimes totalitaires, ou aux États-Unis avec Hollywood, outil de promotion des valeurs et mode de vie américains.
La musique ou la mode sont eux aussi des champs de production artistique qui influencent fortement les représentations. Mais il y a de nombreux autres domaines auxquels on pense moins spontanément comme les habitudes alimentaires, les activités sportives, les réseaux sociaux, les influenceurs. Le tourisme mémoriel, notamment patriotique, est aussi un secteur qui transmet des idéologies fortes, aux États-Unis ou en Europe.
L’instrumentalisation de la culture au service de l’idéologie illibérale







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