L’écrivain et poète Bernard Noël s’est éteint mardi 13 avril
« Le Bernard Noël que j’ai connu était bardé d’un silence à couper au couteau », écrivait son ami Georges Perros en 1977. Leur Correspondance sera publiée en 1998 (Editions Unes). Avec cette forte image, Perros met en lumière un paradoxe fondateur : l’œuvre abondante, à la fois inspirée et pensante, de Bernard Noël s’est construite dans ce rapport violent à l’intériorité silencieuse. Violence dont le langage est l’instrument, l’arme. Dans un entretien avec Claude Ollier, en 1995, il déclarait : « Il n’y a jamais eu pour moi d’en dehors du langage. Il n’y a de l’indicible que parce qu’il y a du dicible. » (…)
Comme nombre de jeunes gens de sa génération, Noël réagit avec révolte et détermination aux événements du monde, d’Hiroshima à la guerre du Vietnam, des crimes de Staline à la guerre d’Algérie, au cours de laquelle il milite avec les « porteurs de valise » du réseau Curiel. Cette dimension politique – au sens le plus large – de la pensée et de l’action ne sera jamais oubliée et trouvera, dans l’œuvre à venir, une place insistante et singulière, inséparable de la subjectivité (….)
« La poésie est pour moi une sorte d’orage mental qui fait pleuvoir du verbe, du mouvement », affirme Bernard Noël dans ses entretiens avec Dominique Sampiero (L’Espace du poème, P.O.L., 1998). Il ajoutait : « Le corps est un langage qui m’a permis de réarticuler les mots ensemble, en me référant à quelque chose de précis, de déjà fondé, le corps. » De fait, sa poésie excède les limites formelles et traditionnelles d’un genre. Pour son éditeur, Paul Otchakovsky-Laurens, « Bernard Noël est en effet un poète, mais aussi un romancier, un reporter, un polémiste, un sociologue, un historien, un critique d’art ». Michel Collot (dans le numéro d’Europe de janvier-février 2011, consacré à l’écrivain) parle, quant à lui, d’une « démarche [qui] consiste à redonner corps à notre langue que menace de plus en plus l’abstraction ». La figure d’Eros désigne, pour l’écrivain, cette résistance à l’abstraction : « Eros est le maître de cette activité [écrire] : il dresse des figures qui font mine de s’avancer vers nous et qui ne coïncident qu’entre elles. »
La pluralité des centres d’intérêt et des modes d’expression ne contredit nullement le sens de sa démarche. Le rassemblement thématique de son œuvre, en quatre forts volumes (P.O.L, de 2010 à 2015), démontre l’unité d’une parole toujours en quête non pas tant d’elle-même que du monde, de la présence à laquelle elle aspire. En témoigne l’éloquent recueil de tous les entretiens que Bernard Noël accorda à Alain Veinstein entre 1979 et 2014 (éditions de L’Amourier, 2017). « Chacun de nous est une société », écrivait-il dans un texte fort justement intitulé Monologue du nous (P.O.L., 2015).
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