Film de genre, film d’auteur ? La distinction irrite le cinéphile !

« Séparer les notions de « cinéma de genre » et de « cinéma d’auteur » n’a jamais eu aucune pertinence ».

Jean-François Rauger remet en cause les classements et autres catégories dans le cinéma :

« Au moment de la présentation du film de Jeremy Saulnier, Blue Ruin, à la Quinzaine des réalisateurs, lors du Festival de Cannes 2013, beaucoup ont souligné que ce film relevait davantage du cinéma de genre que du cinéma désigné comme « d’auteur », et qu’il aurait dû trouver son débouché automatique dans les programmations des grandes manifestations internationales. Cette constatation ressemblait à un soupir de soulagement démagogique face au choix de formes de cinéma a priori non nobles, populaires, non élitistes, signe d’ouverture « démocratique » vers des catégories prétendument méprisées habituellement par les sélectionneurs.

Le fait s’est d’ailleurs largement répété cette année (…) Or, une telle distinction relève d’une opposition fallacieuse mettant face à face deux qualités qui ne relèvent pas du même registre.

LES MÉLOS, BIEN NOMMÉS « WOMEN’S PICTURES »

La notion de genre est, avant tout, une catégorie objective qui constate la production de films selon des critères récurrents, purs produits à la fois du marketing (viser un public spécifique dont on suppose les goûts immuables) et de la fabrication industrielle. C’est ainsi que les genres sont inséparables des structures oligopolistiques de l’économie du cinéma dit classique et de la présence de grandes compagnies pratiquant la production en série selon une forte division du travail, telles les « majors companies » hollywoodiennes ou les grands studios japonais.

Westerns, films policiers, bandes d’épouvante, mélos (les bien nommés « women’s pictures »), comédies furent ainsi les produits d’une stratégie industrielle particulière dans de nombreux pays.

CHEVAL DE BATAILLE D’UNE CERTAINE CINÉPHILIE

La notion d’auteur appliquée au cinéma fut longtemps plus problématique. Ce fut le cheval de bataille d’une cinéphilie qui n’avait que faire, à juste titre, de la question du genre et qui voulut ennoblir ce qui a été longtemps tenu comme un simple divertissement. L’auteur, c’était le réalisateur, que l’on devait pouvoir considérer à l’égal d’un romancier ou d’un peintre, et le coup de force critique était d’autant plus évident que le cinéaste oeuvrait au coeur d’une structure industrielle et pour une masse de spectateurs qui ne lui reconnaissaient pas ce titre. Une vision subjective du monde et de l’homme devait ainsi apparaître à travers les obsessions et la mise en scène des films d’un Alfred Hitchcock, d’un Vincente Minnelli, d’un Samuel Fuller ou d’un Howard Hawks.

Or les notions de genre et d’auteur sont entrées en crise avec le cinéma moderne. Le déclin des structures oligopolistiques de production, la fin de la série B, les transformations sociologiques du public et de sa demande ont mis à mal les conceptions existantes. Les mythologies des genres ont fait l’objet de relectures critiques qui en ont sapé les fondements, et la définition de celui-ci est devenue de plus en plus lâche et floue.

« TOUS AUTEURS », PEUT-ÊTRE

(…) Par ailleurs, le cinéma n’est-il pas désormais vu, de plus en plus, comme un moyen d’expression personnel par un nombre de plus en plus grand de réalisateurs ? « Tous auteurs », peut-être, mais lorsque le terme est aujourd’hui employé, il a en fait perdu de sa force et du volontarisme initial qui a adapté cette notion au cinéma.

C’est ainsi que séparer les notions de « cinéma de genre » et de « cinéma d’auteur » n’a jamais eu aucune pertinence. Au nom de quoi, un film reproduisant un certain nombre de conventions ne serait-il pas aussi un film d’auteur ? Les westerns d’Anthony Mann, les mélodrames de Douglas Sirk, les films de guerre de Samuel Fuller sont-ils des films de genre ou des films d’auteur ? La question elle-même est inepte.

Lire la critique  « Blue Ruin » : l’horreur à rebrousse-poil,  par Isabelle Regnier

  • Jean-François Rauger
    Journaliste au Monde

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