Déconfinement : « Sortons le théâtre de ces lieux où il était en train de se momifier »

Tribune. Nous sommes las d’entendre les discours incantatoires et obsessionnels des tenants de la culture, plus attentistes les uns que les autres, sur l’air d’« On attend que tout redevienne comme avant » et sur le mode réflexif de « Comment donc faire du théâtre sans théâtres ? ».

Longue, très longue réflexion que mènent la plupart des lieux subventionnés depuis deux mois, continuant inlassablement à tisser et à détisser les reports, les annulations, les reprises de répétitions, les futures créations… en salle, tout en poursuivant la mission populaire de diffuser généreusement les captations des spectacles joués… en salle, avant le temps du « choléra ».

Lorsqu’on est féru de théâtre, il est déjà difficile de regarder un spectacle retransmis, qu’en sera-t-il des « non-spectateurs » ? Mais quelqu’un s’est-il vraiment posé la question, à la base pourtant de la mimésis et de la catharsis théâtrale, du pour qui, comment et pourquoi ?

Nous ne pas voulons pas tenir un discours qui reviendrait en boucle sur un prétendu âge d’or du théâtre.

Prétendu, car nous savons tous que les théâtres se vident, et que la moyenne d’âge des spectateurs dans la majorité des théâtres de la région parisienne augmente (public qui sera le premier à n’y pas revenir pour des raisons sanitaires).

Prétendu, car on nous met devant le choix entre un théâtre populiste qui attirerait les foules par ses têtes d’affiche et un théâtre élitiste et/ou expérimental qui vit sur l’entre-nous – et parfois d’ailleurs ne dédaigne pas non plus d’engager avec l’argent public des têtes d’affiche, en alibi probablement d’un possible et hypothétique adoubement de masse.

Un discours méprisant

Des deux côtés, celui du gouvernement comme des lieux institutionnels, on nous tient un discours méprisant quant à « l’action culturelle » à laquelle nous devrions (enfin !) être renvoyés, ainsi que le constate le Syndicat national des entreprises artistiques et culturelles (Syndeac) (…)

Mais depuis quand a-t-on véritablement dévolu de l’argent à ces « actions culturelles » depuis vingt ans ? De l’argent pensé, stratégiquement placé au cœur d’une véritable politique culturelle, dans le cadre notamment des résidences de compagnies dans les villes – celles qui permettent de mailler un territoire, d’intervenir théâtralement en direction de tous les publics, sans scinder d’un côté le « socio-cul » et de l’autre la « création » ?

Les actions faites extra muros ne reçoivent que les miettes des créations intra muros, qui touchent de moins en moins de spectateurs. Et la direction régionale des affaires culturelles (DRAC), toute-puissante, soupèse les prétendues qualités artistiques des compagnies qui leur vaudraient légitimement d’être soutenues pour leur permettre d’agir, non sur la foi du travail de terrain qu’on peut et doit fournir, mais sur leur capacité (dixit) à jouer dans les lieux « institutionnels » (entendez : scènes conventionnées, nationales et centres dramatiques nationaux).

Avec ce raisonnement kafkaïen : pour prétendre à des subventions de la DRAC action culturelle, il faut être soutenu par la DRAC théâtre, donc faire partie de ces happy few adoubés par le ministère sur leur reconnaissance institutionnelle…

Faisons théâtre de tout

Alors revenir à ce bon vieux système du « théâtre d’avant » ? Non. Sortons des murs de cette prison conceptuelle et « du passé faisons table rase ». Sortons le théâtre de ces lieux où il était en train de se momifier et jouons, jouons à tout prix, mais pas à n’importe quel prix. Au prix de subventions basées sur le travail que nous, compagnies méprisées qui travaillons dans les quartiers avec les miettes de la culture et la confiture du social (pour qui nous ne pouvons être qu’un plus et non une nécessité – comme cela devrait l’être dans une véritable politique culturelle), devrions et devons plus que jamais recevoir – avec des aides de l’Etat à réinventer, à redistribuer. « Nous n’étions rien, soyons tout ! »

Demandons-nous où commence et où finit le théâtre, de quels outils il peut se servir et comment toucher les publics

Réapprenons des leçons de l’histoire pour (dé)passer ce « théâtre d’avant » : faisons théâtre de tout, comme le disait Antoine Vitez, du théâtre partout et pour tous !(…)

Escape théâtre ? J’en connais certains qui fronceront le nez… Est-ce du théâtre ? Certes, pas au sens traditionnel du terme, mais en tout cas ça « fait théâtre » et ça permet d’ouvrir de nouveaux horizons d’inventivité, d’échange, de partage, de rire et de rêve au cœur de notre métier. Qui sont la définition même du théâtre.

Le Monde 23 mai

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