Comment le spectacle vivant conserve-t-il la mémoire ?

A une époque où les souvenirs deviennent numériques au risque de s’évaporer dans un bug technologique, quel sens prend la reconstitution de pièces tombées dans les oubliettes du temps ?

Ces questions, qui surgissent régulièrement dans un panorama dévoré par l’appétit du neuf, dégagent parfois de stimulantes voies de réflexion et de création. Présenté les 17 et 18 février, au festival Circa, à Auch (Gers), à l’affiche du Monfort Théâtre la saison prochaine, Je me souviens, le ciel est loin, la Terre aussi, d’Aurélien Bory et Mladen Materic, se pose comme une soucoupe volante dans le paysage. Il réactive un autre spectacle de 1994, Le ciel est loin, la Terre aussi, conçu par Materic et qui fut le choc esthétique fondateur de Bory.

Les trous de mémoire, les traces floues laissées par les événements dans le cerveau, les récits fragmentés que l’on recolle innervent la démarche d’Aurélien Bory, à la tête de la Compagnie 111 depuis 2000. Créé en 2016, Espæce, sous influence des textes de Georges Pérec Espèces d’espaces et Je me souviens, a ouvert un chantier rétrospectif dont celui de la collaboration avec Materic. « J’avais 22 ans en 1994, raconte Aurélien Bory. Le ciel est loin, la Terre aussi est le premier spectacle que j’ai vu en m’installant à Toulouse. Il y a des pièces qui vous transforment. Celle de Mladen m’a donné envie d’être metteur en scène. J’ai pris conscience ce soir-là qu’il était possible de réinventer le théâtre. C’était très naïf à l’époque. J’ai désiré revivre ces sensations qui parlent d’une part intime de moi. »

Tableau de souvenirs

Après une conversation avec Materic, les deux hommes se sont jetés dans cette entreprise de reconstitution, proche d’un remake, en s’appuyant sur la vidéo grâce à laquelle « tout est revenu », et surtout sur le décor et les costumes conservés dans un hangar. (…)

Ce toboggan temporel vertigineux emporte aussi le chorégraphe Philippe Decouflé. Tête d’affiche depuis les années 1980, cet as des mirages visuels a reconstruit l’une de ses productions majeures et mirifiques : Shazam ! (1998), bijou d’illusions optiques et de métamorphoses. « C’est ma première pièce entièrement construite sur l’image, qui sera primordiale ensuite pour moi, explique-t-il. Entre films projetés et actions live, jeux de miroirs, les points de vue sont multiples. J’avais par ailleurs beaucoup aimé réaliser ce spectacle très artisanal et très pointu à la fois. »

Plus de vingt ans plus tard, les enjeux du répertoire, jamais abordé par Decouflé, l’ont rattrapé. En 2019, il met en scène Tout doit disparaître, fabuleuse déambulation redistribuant trente-cinq ans de création avec trois générations de danseurs âgés de 18 à 67 ans. Il confiait alors : « La mort de mes deux amis et interprètes Raphael Cruz et Christophe Salengro, en 2018, a été un coup terrible. Je me suis retrouvé en panne… Je me suis alors dit qu’avant que les gens que j’aime disparaissent, il fallait reconvoquer ceux qui étaient encore là, avec lesquels j’avais eu du plaisir à danser et revivre ensemble ces moments de joie dont j’espère qu’il émane du bonheur pour tous. » Il ajoute aujourd’hui : « J’ai toujours eu peur que mes pièces, si on les remontait, s’abîment et perdent leur âme. Elles sont imaginées dans un temps donné, pour des danseurs spécifiques. Et c’est finalement leur désir de reprendre Shazam ! qui m’en a donné envie. Ils sautent sans doute moins haut qu’avant, mais la qualité de leur mouvement est plus riche. »

Témoignages de spectateurs

En première ligne de ce nouveau Shazam !, dont le casting de dix danseurs est majoritairement composé de personnalités historiques, Alexandra Naudet, interprète profilée et rayonnante de Decouflé depuis vingt-sept ans. Avec ses complices d’alors, elle travaille à partir de la vidéo du spectacle, filmée de très loin, et qui ne montre que des éclats de gestes. « On s’est demandé si on allait pouvoir se souvenir des pas, glisse-t-elle. Mais une fois qu’on a été tous ensemble, grâce aussi à la musique, des séquences chorégraphiques inscrites en nous sont revenues. Le corps collectif est vraiment incroyable. Et si j’ai vieilli, je me sens paradoxalement plus solide pour honorer cette pièce. »(…)

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